Récit de
l'avalanche survenue au Grand Som le dimanche 13
mars 2005 ou "La mécanique fait sa loi" par
Pierre Gignoux
Ronan : « tout
le monde a son A.R.V.A., sa pelle et sa sonde ?
»
Nous trois - Arnaud, Georges et moi : « ouais,
ouais, ouais »
Ce matin la journée s'annonce radieuse, je
fais connaissance de Ronan, urologue de
métier et sportif de confession comme
Arnaud, notre copain commun.
Ronan : « vous
avez vu il y a eu trois morts dans les Bauges dans
une avalanche »
Moi : « ils étaient en raquette ?
»
Ronan : « ouais »
Moi (un brin narquois): « ah ! c'est dangereux
la raquette »
Georges
débute la rando à skis et il se
cramponne pour suivre le rythme. Dans les
raccourcis pour aller à la chapelle de
Clausis, il a toutes les peines du monde à
franchir les « coups de cul ». C'est
l'occasion de lui faire une démonstration de
notre savoir-faire : finesse du geste,
maîtrise technique, touché de
neige
Bref il a compris maintenant : on va
lui changer ses peaux de phoques vieilles de 10 ans
pour des peaux neuves avec des poils. Ce sera
mieux.
A la chapelle de Clausis on se sépare. Ronan
montera directement au col de Bovinant avec Georges
; Arnaud et moi on fera le détour par le
Petit Som. En continuant avec Arnaud, je lui parle
de la Mezzalama : 2ème en 1999 avec
Méraldi et Pédrini, forfait en 2001
pour cause de ligament du genou arraché,
encore 2ème en 2003, la victoire nous ayant
échappé cette fois-ci dans la
dernière descente après avoir perdu
mes lentilles de contact et eu la moitié du
visage gelé à cause du froid. Cette
année la Mezzalama c'est mon objectif. Je
suis inscrit avec Stéphane (Brosse) et
Patrick (Blanc). Je ne peux rêver d'une
meilleure équipe, la chance va nous
sourire.
Après le
Petit Som on retrouve Georges et Ronan au col de
Bovinant. On monte toujours à la même
cadence au Grand Som, Ronan arrive juste
après nous. En attendant Georges je propose
à Arnaud de faire un aller-retour
côté sud-est pour reconnaître le
haut de la descente et tâter la neige.
Après les stratugis de neige froide, la
pente sud-est est ramollie sur un fond peu compact.
On remonte au Grand Som, Georges est arrivé.
Il est midi je propose à ceux qui le veulent
de descendre côté sud-est : on a
repéré le haut et j'ai cru voir le
bon passage en contre bas. Arnaud hésite.
Georges a t-il le niveau ? Lui en est
persuadé. Allez on y va. Au bout de 200m de
dénivelé de descente je
m'aperçois qu'il y a un chien avec nous :
« allez vas-t'en ! », « rentre
à la maison ! ». Rien à faire il
s'approche haletant, les oreilles et la queue basse
pour se faire caresser. Il est jeune, moins d'un an
probablement. Une plaque attachée à
son collier indique un numéro de
téléphone. Tant pis il descendra avec
nous et on appellera ses maîtres en
bas.
La première
partie de la descente est rapide bien que
ponctuée de quelques bassines. La suite est
plus délicate : le passage que j'avais vu
est une impasse qui se termine sur des barres. Je
remonte et je vais voir au nord-est pendant
qu'Arnaud essaie au sud. Il trouve le passage, une
espèce de vallon clairsemé d'arbres.
La descente devient ensuite laborieuse. Georges
peste. Il ne sait pas comment s'y prendre dans
cette neige fraîche mais lourde où il
faut tourner court entre les arbres.
Il est 12h40, on arrive sur un petit ressaut qui
donne sur un goulet de la largeur des skis. Je
passe tant bien que mal en gardant les skis aux
pieds. Les autres déchaussent, descendent de
quelques pas et sautent dans la neige fraîche
au fond du goulet. Georges zippe &endash; il y a
une couche de glace sous la neige &endash; il fait
plusieurs mètres sur les fesses, saute le
petit ressaut et finit tout en douceur dans la
neige fraîche. On rigole.
120 m plus bas
j'entends hurler à la mort. C'est notre
chien qui n'arrive pas à passer le ressaut.
Merde, je vais pas le laisser là, on est les
seuls à descendre dans cette face. «
Allez-y continuez à descendre, je remonte
chercher le chien et je vous rejoins ». Je
remets les peaux et je remonte. Je déchausse
pour remonter le ressaut au dessus du goulet. C'est
pas facile il y a une pellicule de glace sur le
rocher. Enfin j'y arrive. Notre chien est
terrorisé et ne veut plus bouger. Je le
prends sous le bras et je commence à
désescalader. Le chien apeuré pousse
sur ses jambes et cela me repousse à mon
tour en arrière. Il reste deux mètres
plus raides, je n'y arriverai pas avec lui dans les
bras. . Alors je le cale contre mes genoux pour
libérer ma main puis j'enlève ma
jambe. Et il se retrouve deux mètres plus
bas dans la fraîche sans avoir rien
compris
Je me retourne et je saute à
côté de lui, c'est gagné.
Je chausse un ski puis l'autre. Tout d'un coup un
grondement sourd me fait lever la tête. Merde
une avalanche, elle franchit le ressaut 5 m plus
haut &endash; « quelle taille fait-elle ?
». Je n'ai que le temps de me plaquer au sol
espérant qu'elle roulera sur mon dos sans
plus. Mais je suis propulsé violemment en
aval. « Merde ça doit être gros,
avec cette neige lourde, je n'ai aucune chance, je
vais y rester entraîné dans le front
de l'avalanche ». Un instant je refais
surface, je m'aperçois que je suis sur le
bord de celle-ci et que j'arrive sur des arbres.
C'est peut-être mon salut. Si j'arrive
à m'agripper l'avalanche filera sous mes
pieds. Mais rien à faire contre la puissance
de cette masse en mouvement, c'est la loi de la
mécanique. Je me cogne puis je continue ma
descente. Deuxième flash. A nouveau des
arbustes et un sapin beaucoup plus gros, celui
là il ne faut pas que je me le prenne. Mais
à nouveau rien à faire. Je suis
roué de coups sans avoir réussi
à m'accrocher. Je mets alors mes coudes
devant le visage pour me prévoir un espace
pour respirer quand je serai enseveli.
Puis plus rien tout
s'arrête. Il y a de la lumière autour
de moi. La tête dans les mains courbé
comme pour une prière, j'exulte, je vais
revoir mon Titouan. Je ne suis pas mort.
Ronan me rejoint,
lui a eu le temps de s'écarter. Il me parle
mais je ne peux pas lui répondre, je suis
sous le choc, épuisé, j'ai trop mal.
Enfin j'arrive à dire quelques mots : «
j'ai de la chance », « j'ai de la chance
», « j'suis trop con », «
j'suis trop con »... Ronan m'ausculte, me
palpe le ventre pour détecter
d'éventuelles hémorragies et me donne
des nouvelles du chien : il est enseveli et
probablement mort.
Il faut
déclencher les secours car je n'arrive pas
à me déplacer. Mon épaule et
mon genou droit me torturent. Ronan essaie de
téléphoner mais ça ne passe
pas. Il n'y a pas 36 solutions. Il me laisse des
fringues, m'assied sur son sac à dos et
entame la descente jusqu'à la route du col
du Cucheron. Là il intercepte une voiture et
contacte les secours. J'ai mal mais je crois que je
vais m'en tirer. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Est-ce que ces boules de neige qui nous faisaient
rigoler tout à l'heure se sont mises
à rouler toutes seules ? Est-ce qu'il y a
des dalles au-dessus qui se sont purgées
sous l'effet du soleil et entraînées
toute la pente ? Les douleurs se calment doucement.
J'essaie d'enfiler les fringues que Ronan m'a
laissées. Ça m'occupe il faut que
j'emploie toute mon ingéniosité pour
y parvenir. Je pense que ça m'a pris une
bonne demi-heure. Bientôt le soleil passera
derrière les arbres et j'aurais froid. Il ne
faut pas trop qu'ils tardent. Je pense alors
à Joe Simpson (la « Mort suspendue
»). Comment a t-il fait ? A cet instant j'en
viens à douter de son histoire
Soudain j'entends
un bruit d'hélico. Mais je ne vois rien car
j'ai perdu mes lunettes dans la bataille. Le bruit
se rapproche mais il semble maintenant venir du col
du Cucheron puis s'éloigne franchement.
Merde ça doit pas être pour moi.
Quelques instants après le bruit se
rapproche à nouveau. Ça y est je le
vois. Je me lève sur ma jambe valide pour
faire des signes avec mon bras droit. Un secouriste
descend au treuil et l'hélico retourne
prendre le médecin au col du Cucheron
à la place de Ronan
récupéré à la Scia pour
guider le pilote jusqu'à moi. Tout va
ensuite très vite, le médecin descend
à son tour, m'ausculte puis nous sommes
treuillés dans l'hélico direction
l'hôpital sud. A première vue, je n'ai
pas d'organes vitaux touchés. Une clavicule
cassée, quelques bobos et les ligaments du
genou arrachés.
Voilà le
petit chien est mort, moi je suis bien
abîmé mais aussi bien en vie. Je vais
pouvoir profiter de ma petite famille et ça
c'est du bonheur.
Je ne connais pas
la morale de l'histoire même si certains
pensent la connaître : un collègue m'a
demandé si les secouristes m'avaient
engueulés parce que j'étais en
montagne alors que « même à la TV
» ils avaient dit qu'il y avait un risque
d'avalanche. Une infirmière aussi m'a
demandé si j'étais dans un endroit
interdit ? ! ?
Ce qui est
sûr c'est qu'il y a deux signes au moins qui
auraient du me faire cogiter : l'avalanche la
veille dans les Bauges et les petites boules de
neige qui se formaient sous nos skis, roulaient
puis s'arrêtaient .
J'en profite pour
saluer et remercier les personnes du SAMU
38.
Pierre Gignoux,
Clinique des Cèdres, dimanche 3 avril
2005.
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