Dans
l'après-midi du 25 février, le jury a
entendu les récits d'ascension de chacun des
nominés, et a tranché dans le secret.
Le soir, les alpinistes ont
répété l'exercice devant un
petit millier de spectateurs, photos et traducteurs
à l'appui. Pas facile pour certains, telle
la cordée italo-argentine Orlandi, Fava et
Codo, plus à l'aise en face nord-est du Fitz
Roy (3440 m) que sur scène. Chaque
nominé (équipe ou solo) a
disposé d'un quart d'heure pour «
vendre » sa réalisation au public. Un
public d'autant plus attentif qu'il allait ensuite
voter pour son « coup de cur »
parmi les six nominés.
De la prestation
détendue du Slovène Tomaz Humar, on
garde le souvenir d'une ascension engagée
sur du rocher absolument pourri en face sud de
l'Aconcagua (6960 m), en compagnie d'Ales Kozelj.
En contraste, le Russe Alexander Odinstov, chef de
l'expédition au Jannu (7710 m), est apparu
bien sérieux et austère au micro.
Quant à l'Américain Steve House, son
enthousiasme simple, lors du récit de son
ascension au Pakistan, a largement convaincu le
public. Même style décontracté
pour Kevin Mahoney et Ben Gilmore, ouvreurs d'
« Arctic Rage » en face est de Moose's
Tooth (3150 m) en Alaska. Et enfin Jean-Christophe
Lafaille, dont on retient qu'il a été
plus que jamais confronté au froid, au vent
et à la solitude dans la face sud du
Shishapangma (8046 m). Façon sans doute
d'affirmer haut et fort que sa réalisation
est bien une « hivernale », alors qu'une
polémique s'est installée
récemment pour le contester, le sommet ayant
été atteint le 11 décembre,
dix jours avant notre hiver. Interrogé
à ce sujet par Gilles Chappaz, animateur de
la soirée, Jean-Christophe Lafaille s'est
contenté de rappeler que l'hiver himalayen
commence officiellement le 1er décembre, tel
que mentionné sur le permis d'ascension, et
que l'ascension de Loretan, Troillet et Steiner en
face Est du Daulaghiri le 8 décembre 1985 a
toujours été considérée
comme une hivernale.
Restait au public
à faire son choix pendant l'entracte. Le
« Prix du public » a été
annoncé le premier, et avec un certain
suspens dans la salle. Il revient à Steve
House, pour son ouverture en solo dans la face
sud-ouest du K7 (6942 m). Et « y'a pas
photo », comme le confirme Manu Rivaud,
journaliste à Montagnes Magazine et
instigateur de ce nouveau prix. En effet, sur 486
voix, Steve House en récolte 196, loin
devant les autres nominés.
Puis est venu le
tour du Piolet d'Or, attribué en
présence des sept membres du jury : le
Polonais Krzysztof Wielicki, membre du GHM ayant
gravi les 14 sommets de plus de 8000 m ; la Suisse
Yvette Vaucher, auteur de la première
ascension féminine en face Nord de l'Eiger ;
Stéphane Benoist, membre du GHM et
nominé au 13ème piolet d'or ; le
Russe Valery Babanov, membre du GHM et vainqueur du
piolet d'or 2002 ; Leslie Fucsko, nouveau
président du GHM, Hongrois d'origine et
installé en France depuis une vingtaine
d'année ; Guy Chaumereuil, chroniqueur et
co-fondateur du Piolet d'Or ; et Philippe Descamps,
rédacteur en chef de Montagnes
Magazine, revue co-organisatrice de
l'événement avec le GHM.
Un jury de connaisseurs, sans aucun doute.
Après roulements de tambours, le
14ème Piolet d'Or a été remis
par Wielicki à l'expédition Russe
pour son ouverture de la première voie
directe en face nord du Jannu. "Un grand pas
dans l'histoire de l'himalayisme a
été franchi avec cette
ascension", affirmait hier Wielicki.
De toutes les
réalisations présentées, celle
des Russes est de loin la plus « lourde »
en termes de moyens techniques mis en uvre :
dix membres d'expédition, 50 jours
d'ascension et une tactique en style « capsule
» où les cordées se relaient
dans la paroi et recourent largement aux cordes
fixes. C'est sans doute ce qu'il fallait pour venir
à bout de cette face, maintes fois
tentée et encore jamais réussie. Mais
l'élégance n'est pas à l'ordre
du jour, et c'est là que le public diverge
avec le jury. L'audience a largement
préféré le solo
intégral en style ultra-léger (sac de
4 kg), le beau rocher et l'enthousiasme de Steve
House à la stratégie
guerrière, empreinte d'héroisme et un
peu dépassée des Russes, qui n'ont
d'ailleurs récolté que 26 voix dans
le public.
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