Leïla Shahshahani

journaliste indépendante

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LE JANNU, VAINQUEUR DU 14ème PIOLET D'OR ET VAINCU DU PUBLIC


La cérémonie du 14ème Piolet d'Or s'est tenue à Grenoble le 25 février 2005, dans la salle bien remplie d'Alpes Congrès. Comme tous les ans depuis 1991, un jury composé de grands alpinistes a récompensé une réalisation parmi les six exploits nominés cette année. Et pour la première fois, le public a lui aussi élu son vainqueur avant l'annonce des résultats officiels, désapprouvant largement le choix du jury.

Dans l'après-midi du 25 février, le jury a entendu les récits d'ascension de chacun des nominés, et a tranché dans le secret. Le soir, les alpinistes ont répété l'exercice devant un petit millier de spectateurs, photos et traducteurs à l'appui. Pas facile pour certains, telle la cordée italo-argentine Orlandi, Fava et Codo, plus à l'aise en face nord-est du Fitz Roy (3440 m) que sur scène. Chaque nominé (équipe ou solo) a disposé d'un quart d'heure pour « vendre » sa réalisation au public. Un public d'autant plus attentif qu'il allait ensuite voter pour son « coup de cœur » parmi les six nominés.

De la prestation détendue du Slovène Tomaz Humar, on garde le souvenir d'une ascension engagée sur du rocher absolument pourri en face sud de l'Aconcagua (6960 m), en compagnie d'Ales Kozelj. En contraste, le Russe Alexander Odinstov, chef de l'expédition au Jannu (7710 m), est apparu bien sérieux et austère au micro. Quant à l'Américain Steve House, son enthousiasme simple, lors du récit de son ascension au Pakistan, a largement convaincu le public. Même style décontracté pour Kevin Mahoney et Ben Gilmore, ouvreurs d' « Arctic Rage » en face est de Moose's Tooth (3150 m) en Alaska. Et enfin Jean-Christophe Lafaille, dont on retient qu'il a été plus que jamais confronté au froid, au vent et à la solitude dans la face sud du Shishapangma (8046 m). Façon sans doute d'affirmer haut et fort que sa réalisation est bien une « hivernale », alors qu'une polémique s'est installée récemment pour le contester, le sommet ayant été atteint le 11 décembre, dix jours avant notre hiver. Interrogé à ce sujet par Gilles Chappaz, animateur de la soirée, Jean-Christophe Lafaille s'est contenté de rappeler que l'hiver himalayen commence officiellement le 1er décembre, tel que mentionné sur le permis d'ascension, et que l'ascension de Loretan, Troillet et Steiner en face Est du Daulaghiri le 8 décembre 1985 a toujours été considérée comme une hivernale.

Restait au public à faire son choix pendant l'entracte. Le « Prix du public » a été annoncé le premier, et avec un certain suspens dans la salle. Il revient à Steve House, pour son ouverture en solo dans la face sud-ouest du K7 (6942 m). Et « y'a pas photo », comme le confirme Manu Rivaud, journaliste à Montagnes Magazine et instigateur de ce nouveau prix. En effet, sur 486 voix, Steve House en récolte 196, loin devant les autres nominés.

Puis est venu le tour du Piolet d'Or, attribué en présence des sept membres du jury : le Polonais Krzysztof Wielicki, membre du GHM ayant gravi les 14 sommets de plus de 8000 m ; la Suisse Yvette Vaucher, auteur de la première ascension féminine en face Nord de l'Eiger ; Stéphane Benoist, membre du GHM et nominé au 13ème piolet d'or ; le Russe Valery Babanov, membre du GHM et vainqueur du piolet d'or 2002 ; Leslie Fucsko, nouveau président du GHM, Hongrois d'origine et installé en France depuis une vingtaine d'année ; Guy Chaumereuil, chroniqueur et co-fondateur du Piolet d'Or ; et Philippe Descamps, rédacteur en chef de Montagnes Magazine, revue co-organisatrice de l'événement avec le GHM.
Un jury de connaisseurs, sans aucun doute. Après roulements de tambours, le 14ème Piolet d'Or a été remis par Wielicki à l'expédition Russe pour son ouverture de la première voie directe en face nord du Jannu. "Un grand pas dans l'histoire de l'himalayisme a été franchi avec cette ascension", affirmait hier Wielicki.

De toutes les réalisations présentées, celle des Russes est de loin la plus « lourde » en termes de moyens techniques mis en œuvre : dix membres d'expédition, 50 jours d'ascension et une tactique en style « capsule » où les cordées se relaient dans la paroi et recourent largement aux cordes fixes. C'est sans doute ce qu'il fallait pour venir à bout de cette face, maintes fois tentée et encore jamais réussie. Mais l'élégance n'est pas à l'ordre du jour, et c'est là que le public diverge avec le jury. L'audience a largement préféré le solo intégral en style ultra-léger (sac de 4 kg), le beau rocher et l'enthousiasme de Steve House à la stratégie guerrière, empreinte d'héroisme et un peu dépassée des Russes, qui n'ont d'ailleurs récolté que 26 voix dans le public.

Au final, l'image qui ressort est celle d'un jury certes d'experts mais un brin vieux jeu, face à un public davantage dans l'air du temps et content d'avoir eu son mot à dire. Pourtant, Leslie Fucsko affirmait en début de soirée que « l'esprit du Piolet d'Or est en mouvement avec la progression de l'alpinisme ». Ce n'est en tout cas pas ce qu'a reflété hier le choix du jury.

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