TIMOR LESTE :
MON VOYAGE AVEC LE PRÉSIDENT
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20 août 2003.
Assise dans l'hélicoptère aux
côtés du Président de la toute
nouvelle république du Timor oriental, le
charismatique Xanana Gusmão,
j'étouffe un rire nerveux. Il y a quelques
jours, je situais tout juste cette petite île
sur un atlas. Quant à l'histoire du Timor,
à part quelques bribes glanées dans
la presse évoquant des massacres, des
milices armées par l'Indonésie et un
référendum pour
l'indépendance
voilà tout ce
que je savais. Me retrouver du jour au lendemain
« parachutée » dans
l'hélicoptère présidentiel, au
cur de l'histoire en marche, avait quelque
chose de cocasse
Tout a
commencé par une histoire de vacances en
Australie ; une envie de pèlerinage dans ce
pays où j'ai fini mes études et
vécu trois ans. Une envie aussi de surfer
les vagues, d'observer les bonds des kangourous et
de quitter momentanément les montagnes de
mon quotidien qui m'avaient causé quelques
frayeurs ces derniers temps. Sauf que les choses ne
vont pas toujours comme on les imagine.
Après deux semaines de « retrouvailles
» avec Sydney, je voulais voir plus loin. J'ai
tout tenté : partir travailler dans un ranch
au milieu du désert, rejoindre
l'équipage d'un voilier en partance vers le
Nord, monter dans un camion à destination
inconnue. Rien n'a marché. Un à un,
mes plans sont tombés à l'eau ; mon
moral aussi. L'envie était coupée.
Vagabonder d'auberges de jeunesse en « safaris
» pour jeunes routards en mal d'aventure, pas
le goût. Rentrer plus tôt en France,
pas question. Changement de cap.
15 AOUT
2003
Le coucou de la
compagnie australienne Airnorth va bientôt
atterrir à l'aéroport de Dili,
capitale du Timor oriental. Je ne suis encore
qu'à une heure et demi de vol de Darwin,
principale ville de l'Australie du Nord. Mais
déjà dans un autre monde ; dans
quelques minutes, je débarquerai dans le
pays le plus pauvre d'Asie. C'est là que se
trouve Martine, ma meilleure amie, que je n'ai pas
revu depuis deux ans. Voilà quatre mois
qu'elle se démène là-bas pour
vivre de son métier de photographe
indépendante. Je suis excitée comme
une puce à l'idée de la revoir. Dix
jours ensemble !
Dans la
précipitation du départ, j'ai pu
faire à Sydney les quelques vaccins
indispensables (fièvre jaune et
typhoïde) et commencer mon traitement
anti-paludéen, mais impossible de «
peaufiner » mon éducation sur ce
nouveau pays ; je n'ai eu que le temps de visionner
une cassette vidéo, Le Diplomate, qui
retrace l'histoire récente du Timor au
travers la vie de Jose Ramos Horta : Prix Nobel de
la Paix en 1996, ce Timorais a milité sans
relâche pendant des années
auprès de la communauté
internationale, prônant l'indépendance
de son pays, occupé depuis 30 ans par
l'Indonésie. Une indépendance
finalement votée par
référendum le 30 août 1999 et
« arrachée » à l'occupant
au prix de nombreux massacres. Le plus drôle,
c'est que je vais sans doute rencontrer cet homme,
puisqu'il est aussi un ami de Martine ! D'ici
là, j'ai plutôt intérêt
à savoir comment on épelle «
Timor » !
Pour le reste, y'a
plus qu'à voir sur place, briefée par
Martine. À peine trois ans depuis les
massacres, c'est si proche, les plaies seront-elles
visibles ? Du hublot de l'avion, j'aperçois
des collines pelées, la côte, les
maisons de Dili et le Cristo Rei, cette immense
statue du Christ nichée sur un promontoire
au-dessus de la mer à la sortie de Dili. 90%
de la population du Timor est catholique
quatre siècles de colonisation portugaise,
voilà qui explique.
SUR LA TERRE
FERME
La perspective a
bien changé. À la sortie de
l'aéroport Comoro, une rangée de 4x4
portant le sigle « UN » attend les
quelques arrivants. Le Timor n'est pas une
destination touristique, et la quinzaine de
passagers de mon avion est principalement
composée de personnel d'ONG, des Nations
Unies, civils ou militaires, ou tout simplement de
diplomates et autres hommes politiques. Je suis
sans aucun doute la seule « touriste »
à bord. Ah ! les retrouvailles avec Martine
et ses habituels bons plans ! Une 4x4 des UN nous
attend, conduite par Manuel, un Français en
poste ici. C'est partiiiiiiiii !
Le 15 août est aussi un jour
férié au Timor, et nous sommes
vendredi, début d'un long week-end.
Excellente nouvelle car tout est déjà
prévu : à peine le temps de
déposer les affaires et de refaire un petit
sac et nous voilà en route pour l'autre bout
de l'île, à l'extrémité
orientale du Timor, direction Jako Island.
Idéal pour se faire un premier aperçu
du territoire. La route est un peu chaotique, puis
franchement défoncée, et des trombes
d'eau s'abattent dans l'après-midi,
justifiant encore un peu plus l'usage du 4x4.
Et enfin, nous y voilà, terminus Tutuala
beach : posée sur le sable, j'écris
ces quelques lignes, avec l'odeur du poisson
fraîchement sorti de l'eau qui grille
derrière moi. Les seuls autres «
touristes » du coin sont des étrangers
qui travaillent au Timor. Les pêcheurs sont
des locaux qui profitent de ce long week-end pour
vendre quelques poissons. Notre tente est noire,
sans double toit, exactement semblable à
toutes les autres tentes plantées sur la
plage : c'est le modèle unique des Nations
Unies ! Décidément, tout ici est
estampillé « UN ».
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18 AOUT
Je reste
éblouie par la vision de ce week-end, d'une
nature absolument épargnée par le
tourisme et la présence humaine. C'est
à peu près comme ça que je
dessinerais le paradis si j'y croyais. Mais combien
de temps avant les marteaux-piqueurs ? Des rumeurs
circulent sur la construction d'un casino sur Jako
Island, sur la pression exercée par certains
promoteurs étrangers. L'ouverture
progressive du pays aux touristes va changer la
physionomie des lieux. Pourvu que le Timor ne
devienne pas un autre Bali !
Retour à la
capitale. Pas de logement fixe au programme, mais
plutôt des squats de-ci de-là chez des
amis de Martine. Avec son revenu en lance-pierre,
impossible de se payer un pied-à-terre pour
le moment. Mais quelle aubaine, c'est l'occasion de
rencontrer du monde : Jean-Luc, un ancien militaire
aujourd'hui en charge de la sécurité
aérienne sur l'île pour le compte des
UN ; Sophie, qui travaille pour Avocats Sans
Frontières ; Martine (une autre),
épouse d'un garde du corps. Il y a ici un
impressionnant cocktail de personnes et de tranches
de vies. Martine, fidèle à
elle-même, connaît déjà
les trois quarts de la population expat' de Dili,
impossible de faire trois pas sans tomber sur une
connaissance ! Mais le plus fou de l'histoire, ce
sont mes retrouvailles avec Niny, une Australienne
d'origine timoraise que j'ai connue pendant mes
années à la fac de Sydney.
Aujourd'hui, elle vit entre Darwin et Dili et
travaille pour la « Timor sea designated
authority » : elle est au cur des
négociations sur le partage du
pétrole qui gît entre les côtes
timoraises et australiennes. Sans le
pétrole, le Timor n'est rien,
économiquement, et donc politiquement ; mais
l'Australie a la main forte. Aucune
inquiétude pour Niny, la voilà bien
lancée dans la vie ! A côté,
j'ai tout l'air d'une vagabonde
19 AOUT
Ça y est,
c'est confirmé ! Martine vient de recevoir
un appel du palais présidentiel : nous avons
une place demain pour embarquer dans
l'hélicoptère aux côtés
d'EL PRESIDENTE, Mister Xanana Gusmão
lui-même. Enfin plutôt aux
côtés de la clique médiatique
autorisée à le suivre pour les
célébrations du 28ème
anniversaire du mouvement de la résistance
timoraise, quelque part dans la campagne à
35 minutes de vol à l'est ; à Waimori
exactement, haut lieu de la résistance
timoraise. Là faut que je me pince : va-t-on
vraiment jouer les grands reporters demain, elle
dans le rôle du photographe, moi dans celui
du journaliste ? Dire que j'ai failli laisser ma
carte de presse en Australie, j'ai
été bien inspirée de la
glisser au dernier moment dans mon sac à
dos
Dire aussi que j'étais venue pour
des vacances. C'est bien ce que je disais : les
touristes au Timor, ça n'existe pas ! Au
boulot.
20 AOUT
C'est le grand
jour, et notre taxi n'est pas à l'heure. Il
est tôt et les voitures ne courent pas les
rues. Sueurs froides
Les minutes
défilent, et l'idée de rater
l'hélico se concrétise. Par chance,
un autre taxi passe par là et on se jette
littéralement dessus.
8h30, BASE HELIPORT
DE DILI
Les quelques
représentants de la presse sont
déjà là, dont la
correspondante du quotidien australien Sydney
Morning Herald. Pas l'air commode
celle-là
Avec mon modeste curriculum
de journaliste spécialisée «
montagne », je reste dans mes petits souliers.
Martine et moi nous présentons au comptoir
d'embarquement pour signaler notre présence.
L'employée prend sa liste et cherche nos
noms. Ses yeux s'écarquillent. « Il y a
un problème, nous n'avez plus de place
à bord, car deux personnes ont eu
priorité sur vous ». BADABOUM ! Mon
rêve s'envole, c'était donc trop beau
pour être vrai ? S'ensuit un quart d'heure de
parlementations pour essayer de
récupérer l'affaire. Et puis soudain,
saisissant une seconde liste, l'employée
s'excuse : nous sommes toujours inscrites, mais
dans l'autre hélicoptère, pas celui
de la presse, celui
du Président et de
ses invités !
Toute la crème politique arrive au
compte-goutte : le n°1 des Nations Unies au
Timor, Sharma Kamalesh, le n°2 Hasegawa,
l'ambassadeur des Etats Unis, de Chine ou du
Brésil, la femme du Président et sa
mère, toutes deux australiennes, et tous les
diplomates importants en poste à Dili. C'est
l'ambassadeur américain qui nous tchatche le
premier, plutôt décontract le
bonhomme. Mais ce matin, l'heure est au
recueillement sur la piste de l'héliport.
Xanana Gusmão prend la parole devant les
journalistes et les diplomates : il rend hommage au
Brésilien Sergio Vieira de Mello, tué
la veille dans l'attentat contre le siège
des Nations Unies à Bagdad. Ce diplomate de
l'ONU, auréolé d'une excellente
réputation, a dirigé l'administration
transitoire du Timor oriental de 1999 à
2002. Beaucoup ici le connaissaient personnellement
et l'émotion est forte. Une minute de
silence est observée.
On nous fait signe
d'avancer vers l'hélicoptère.
Ça y est, cette fois c'est parti. La
bête est impressionnante et contient une
vingtaine de passagers. Nous montons à bord
et prenons place de chaque côté de
l'appareil. L'ambassadeur des Etats Unis se
retrouve à côté de moi.
À ma gauche se tient un autre diplomate
d'une certaine corpulence. Martine se retrouve en
face de moi, du côté du
Président et de sa famille : erreur fatale !
Chaque coup d'il croisé risque de
déclencher un incontrôlable fou rire.
Pour le coup, ça ferait vraiment amateur.
Les pales de l'hélicoptère commencent
leur rotation et le pilote russe du vol MI8 nous
donne les consignes de sécurité. Le
temps que je regarde par le hublot, on est
déjà loin du sol et je me perds dans
mes pensées ; j'ai vraiment du mal à
croire que je suis là.
La suite est
chargée d'émotions. Notre
hélicoptère atterri en pleine
campagne et nous sommes dirigés vers un
convoi de 4x4 qui nous conduit sur les lieux de la
cérémonie. C'est le grand show qui
commence, des milliers de Timorais civils et
militaires sont là. Les veuves des
résistants sont rassemblées devant
des centaines de petits paquets contenant des
effets personnels des hommes disparus. Des coups de
feu sont tirés en l'air. Une douloureuse
lamentation s'élève dans les rangs :
les veuves pleurent, et chantent. Je ne me sens pas
à ma place, étrangère à
toute cette souffrance, gâtée par la
vie. Le Président entame un long discours
sous le soleil torride de l'après-midi ;
mais le micro ne marche pas et l'assemblée
ne retiendra que quelques bribes de sa longue
intervention. Martine court dans tous les sens,
mitraillant les militaires et le bain de foule du
Président.
Cette
journée m'a achevée. Mais ce n'est
que le début du voyage et des
émotions pour Martine et moi. Nous venons
d'obtenir l'autorisation de poursuivre nos
pérégrinations aux côtés
du Président pour les trois prochains jours,
dans les districts du Timor. Double youpi tralala,
c'est le jackpot ! Embarquement immédiat
dans l'hélico présidentiel. Je
retrouve ma place à bord et me sens plus
à l'aise que ce matin ; finalement on prend
vite ses marques. Une brève escale à
Dili pour déposer le gros de la troupe
diplomatique et nous reprenons les airs, direction
Suai, au Sud. Cette fois nous entrons dans
l'intimité du Président. Seuls deux
journalistes locaux nous accompagnent et quelques
proches du Président, dont ses gardes du
corps. Quel accueil pour notre arrivée
à Suai ! Le Président et sa suite est
entouré d'un cortège de danses
traditionnelles. Les villageoises lui remettent le
tais, l'étoffe locale, en signe de
respect.
Nous voilà
parties pour vivre trois jours au rythme du
Président, de ses rencontres avec les
populations, de ses dîners et de ses rares
heures de sommeil
Ses deux assistantes
personnelles, Elisabeth et Anerita, nous prennent
sous leur aile et nous explique le
déroulement des opérations, quand
elles-même le savent. Nous passons notre
première nuit dans un container
aménagé avec deux lits, contigu
à celui du Président (le container,
pas le lit !) Et pour la salle de bain ? Euh
on la partage avec le Président !
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21 AOUT, A
L'AUBE
On est pas
là pour rigoler. Mister Xanana a une grosse
journée devant lui et la grasse
matinée n'est pas à l'ordre du jour.
Réveil à 5h30. Il s'agit de prendre
notre douche avant que le Président se
lève pour faire sa toilette. C'est autrement
plus stressant que de se dépêcher pour
laisser la place à sa coloc'. Et surtout, O
surtout, ne pas laisser de cheveux traîner
dans la douche ou autre petit gadget féminin
! Non mais sans blague, imaginez Chirac partager sa
salle de bains avec deux jeunes routardes de
journalistes, complètement inconnues au
bataillon !? Petit dej' express sur le palier de
nos containers et
« hit the road, Jack
» !
Xanana
Gusmão est ici pour honorer sa promesse
électorale. Élu premier
Président du Timor en avril 2002, il s'est
engagé à se rendre dans les districts
à la rencontre des populations ; il a promis
de leur parler et surtout de les écouter.
Aujourd'hui deux villages au programme, dont celui
de Camenassa, histoire de se familiariser avec le
protocole routinier : les danses traditionnelles
autour du Président et l'offrande du tais ;
l'installation de la suite présidentielle
sous les marabouts rafistolés ; le long
discours improvisé du Président
expliquant le sens et les bienfaits de
l'indépendance et de la démocratie ;
les interventions des locaux et des leaders
traditionnels, et les requêtes des
villageois. Et enfin le repas d'honneur. Tout
ça demande un minimum de quatre heure par
village ! C'est long, surtout sous le soleil de
l'après-midi, mais le temps passe vite :
Xanana est un bel homme, excellent orateur,
expressif et provocateur, il mime ce qu'il dit et
prend à partie la foule. L'assemblée
rit, tend l'oreille et participe. Xanana est un
homme populaire, un ancien chef de la
résistance qui a passé sept ans de sa
vie dans une prison de Jakarta. Il s'exprime dans
le dialecte local. Pour autant qu'ils le
respectent, les villageois lui témoignent
leur colère, leurs conditions de vie
difficiles et attendent tout de leur
Président, trop, même de
résoudre les petites disputes de voisinage.
Il promet de se faire le messager auprès du
gouvernement. J'écoute attentivement la
traduction d'Elisabeth et prends des notes, pendant
que Martine shoote l'assemblée sous toutes
ses coutures. Que tout ça est
passionnant.
À chaque
fois, le spectacle est surprenant de
spontanéité ; c'est une
véritable pièce de
théâtre orchestrée par le
Président de la République, qui a
même invité dans sa tournée des
opposants politiques ; façon de montrer
à une population habituée à la
résistance clandestine que l'opposition
existe aussi dans une démocratie, et qu'elle
s'exprime en toute légalité.
Bizarrement, l'assemblée applaudit
successivement le discours du Président et
celui de ses opposants. Comme si, au final, ce qui
compte n'est pas tant le contenu du discours que la
performance « live » sur
scène.
Décidément ce Président est
inépuisable ! La nuit tombe et je grille mes
dernières cartouches d'énergie,
suivie de près par Martine, les deux
assistantes du Président et une partie du
public qui regagne ses pénates. Pourtant
Xanana ne faiblit pas et nous n'avons d'autre choix
que de suivre son emploi du temps, de village en
village, jusqu'au bout de la nuit s'il le souhaite
! Un peu en retrait, je tape la causette avec les
gardes du corps, plutôt décontracts',
un brin dragueurs. Mais le plus dur dans tout
ça, c'est que je me sens archi
dégueulasse, les vêtements
collés à la peau par la chaleur et
l'humidité ; je donnerai tout pour une
douche !
22 AOUT
Pas beaucoup dormi
cette nuit
Perturbées par quelques
sérieux cafards dans le container et le
« cri » aigu des geckos. Mais qu'importe,
aujourd'hui est un grand jour pour le Timor et nous
garderons les yeux grand ouverts. Nous allons
assister à une « réconciliation
» officielle : d'un côté des
villageois timorais rescapés des massacres
après le référendum de 1999 ;
de l'autre, d'anciens miliciens timorais
armés par l'Indonésie, organisateurs
de ces mêmes massacres, et exilés dans
la partie occidentale du Timor restée
indonésienne. Ça promet !
Je suis perplexe, et curieuse : comment peut-on
prétendre réconcilier ces gens
à peine quelques années après
les massacres ? Ça ne peut être qu'un
leurre, ou alors quelque chose
m'échappe
Cela dit, on a
déjà beaucoup parlé de
réconciliation à propos du Rwanda,
alors pourquoi pas aussi au Timor ? Faut
voir
Direction l'Ouest,
au poste frontière avec l'Indonésie.
Effervescence garantie : les médias
internationaux sont de retour, transportés
par hélicoptère depuis Dili ; le
contingent des casques bleus est
déployé en masse ; les officiels
indonésiens sont attendus sur le sol de
Timor Leste ; un immense marabout accueille les
villageois arrivés en grand nombre. C'est
sous cette tente que seront amenés les
anciens miliciens, dont la plupart sont sous mandat
d'arrêt. Mais pour l'occasion, le
Président Gusmão a demandé une
amnistie d'un jour, afin de rendre possible la
rencontre.
Les
préparatifs matinaux durent de longues
heures, nous laissant le temps de faire le tour des
lieux et de bavarder avec les casques bleus, venus
en grande partie du continent asiatique. Pour
rajouter à la tension ambiante, un serpent
vert, joli mais mortel, fait son apparition sous le
marabout. Panique à bord, et la bête
est tuée par un courageux. Tout est en
place, chacun à son poste. Côté
indonésien, on est sceptique et les hommes
ne se décident pas à franchir le
poste frontière. Pour les convaincre de sa
bonne foi, Xanana Gusmão se rend
lui-même côté indonésien,
suivi de tout le tralala des photographes et
caméramen, parmi lesquels je me suis
glissée. C'est la course à l'image et
la cohue absolue. Finalement, les ex-miliciens,
à la queue-leuleu derrière le
Président, pénètrent le
territoire timorais. Leurs visages sont
crispés car le plus dur reste à faire
: le face à face des bourreaux avec leurs
victimes, parfois issus d'une même famille.
Le Président fait les «
présentations », sur un ton
enjoué et blagueur. Mais comment peut-il
rester si naturellement détendu dans un
moment pareil ? Il conclut et s'éclipse,
laissant seuls les acteurs de la
réconciliation sur « scène
». Les villageois jusque-là assis par
terre se lèvent et les anciens miliciens
avancent dans leur direction.
Les observateurs,
dont je suis, retiennent leur souffle. Je me fais
la réflexion qu'après tout, cette
histoire pourrait mal tourner
En moins de
trois secondes, on ne distingue plus un clan de
l'autre, la foule s'est unifiée. Des groupes
se forment, c'est l'heure des retrouvailles, des
larmes, des sourires, des récits
Abasourdie, je reste plantée là. Aux
Occidentaux présents, la situation est
incompréhensible. S'agit-il de
réconciliation sincère ? Peut-on
pardonner si vite ? Ou bien s'agit-il d'une
rencontre un peu superficielle pour sauver les
apparences ? Pour tenter d'apaiser les esprits ? Un
peu de tout ça ? Nous n'aurons pas le fin
mot de l'histoire, si même il
existe.
Pour finir la
journée, comme si on en avait pas eu assez,
nous reprenons la route, avec notre convoi de 4x4,
en direction du village de Lour, au Nord-Est.
Quelques bonnes heures de transport chaotique au
fin fond de la « pampa » et puis c'est
reparti pour quatre heures de rencontre
présidentielle avec les villageois !
LA NUIT AU VILLAGE
DE LOUR
La rencontre vire
à la fête nocturne et cette fois je
rends mon tablier. J'irai me coucher avant le
Président s'il le faut, et qui m'aime me
suive. Le « hic », c'est qu'il n'y a pas
de logement prévu dans le village et on
envisage de nous faire dormir dans les
véhicules, sans traitement d'exception pour
le Président. Après moults
tergiversations auxquelles nous ne prenons part, on
nous dégotte finalement une petite
pièce dans un bâtiment sur la place du
village, avec
une paillasse de deux places,
pour quatre personnes, Martine, les deux
assistantes du Président et moi !
Tout le monde est
épuisé ce soir dans la troupe
présidentielle et Xanana Gusmão
abandonne lui aussi la fête donnée en
son honneur pour dormir un peu. Sa « chambre
» qui n'est autre qu'une petite pièce
entra quatre murs, touche la nôtre. Pourvu
qu'il ne ronfle pas. Une petite pièce
voisine, sans éclairage, avec un sceau d'eau
et un trou dans le sol, fait office de toilettes et
de salle de bain ; que nous partageons bien
sûr avec le Président.
Ça devient
une habitude ! L'intimité touche à
son comble lorsque, en route pour les toilettes,
Xanana Gusmão me demande de lui prêter
ma lampe frontale pour voir où il pose les
pieds
Pas facile de se changer en toute
sérénité derrière un
rideau trop petit avec le Président juste
derrière. Quelle rigolade sur le lit en
brochette avec Martine, Elisabeth, et Anerita. ;
J'éclate de rire devant le cocasse de la
situation, et ma voix pas franchement
discrète résonne dans le minuscule
bâtiment. Le rappel à l'ordre est
immédiat : le garde du corps nous demande de
faire le silence, car le Président aimerait
bien dormir !!!!! Le fou rire qui suit est
incontrôlable.
23 AOUT
C'est notre dernier
jour en compagnie du Président et de sa
suite. Le temps d'une dernière visite
matinale au village de Lepo, dans les montagnes, et
le convoi présidentiel reprend la route de
la capitale. Beaucoup trop vite à mon
goût. À peine sur le goudron, les 4x4
accélèrent et se stabilisent à
une vitesse indécente : y'a trop de poulets
et autres impondérables sur ces routes pour
rouler à cette allure ! Le protocole veut
aussi qu'en convoi présidentiel, aucune
voiture ne s'arrête sauf si celle du
Président le décide : donc si le
Président n'a pas besoin d'une pause pipi,
eh bien il n'y a de pause pipi pour personne ! Je
garde mes petites réflexions pour moi, je
serre les fesses, et j'évite de boire
Quant à mon interview avec le
Président, ce sera pour une autre fois : le
seul matin où il pouvait m'accorder quelques
minutes, il s'est levé avec une extinction
de voix !
Ce soir-là,
à Dili, je sirote une tisane avec Martine
sous les étoiles et je me sens un peu
nostalgique. Un peu comme lorsque, petite, je
rentrais de colonie de vacances. Pendant quatre
jours et trois nuits, nous avons vécu au
rythme du Président et de son entourage,
plongées au cur de l'histoire en
marche. Tout simplement. Il y a une heure, notre
petite aventure s'est terminée.
25 AOUT
Mes derniers jours
défilent et je quitterai bientôt ce
pays et ces gens que je découvre à
peine. Dommage, mais de toute façon, y'a
plus de sous dans la cagnotte ; ici on paie en
dollars la moindre bouteille d'eau ! En marchant
dans la ville, je constate les dégâts
des milices de 1999 : tout est détruit,
brûlé ; le palais présidentiel
aussi, rebaptisé Palais des cendres. Nous
sommes invitées avec Martine à
déjeuner dans la maison de Jose Ramos Horta,
Monsieur Prix Nobel de la paix. Assise à
table sous la véranda de cette magnifique
maison traditionnelle, j'ai tout un tas de
questions à poser à cet homme
à l'histoire fascinante. Mais le jour n'est
pas bien choisi ; Horta n'est pas dans son
assiette, toujours sous le choc de la mort de son
ami VieiraDe Mello.
26 AOUT
Déjà
l'heure de quitter Martine, jusqu'à une
prochaine fois, quelquepart. Dans l'avion qui me
ramène à Darwin, j'accuse le coup :
l'intensité de ces derniers jours m'a
lessivée, et rassasiée. Je me sens
prête à rentrer en France, la
gnâke au ventre ; j'en aurai besoin car je
viens d'apprendre mon licenciement
économique dès mon retour ! Mais
là franchement, mes pensées sont
ailleurs : Comment le Timor oriental
surmontera-t-il toutes ces difficultés, ces
incertitudes ? Les nouvelles institutions
seront-t-elles suffisamment consolidées
quand le gros des troupes des Nations Unies se
retirera du pays en juin 2004 ? Le Timor aura-t-il
sa part du pétrole ? Martine sera-t-elle
toujours là-bas pour voir la suite ?
Entendra-t-on un jour parler du Timor oriental dans
les médias français ?
Sur le siège
voisin du mien, M. Jose Teixeira, secrétaire
d'état timorais au tourisme, est optimiste.
Il réfléchit déjà au
développement d'un tourisme « durable
» pour son pays (la belle illusion ?).
J'aurais au moins une interview,
aussi improvisée que ce
voyage
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