NOEL EN CISJORDANIE, AUX
COTES DE LA RESISTANCE PALESTINIENNE- 18 Décembre 2010
- 4 janvier 2011
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Fin décembre 2010, un groupe
de 70 Français a répondu à l'appel international
de plusieurs organisations palestiniennes, en venant témoigner
sa solidarité à l'occasion des fêtes de fin d'année.
Je me suis joint
à ce groupe, prolongeant mon séjour au-delà des
dates de la stricte "mission". C'est la première fois
que je retournais en Cisjordanie depuis mon voyage de l'été
2009. Ce périple fut une nouvelle fois source de nombreuses rencontres,
de riches enseignements, et de profondes révoltes intérieures.
ATTERRISSAGE EN ISRAEL
18 décembre
L'espace d'un instant, nous avons cru franchir la douane de l'aéroport
Ben Gourion de Tel Aviv comme de bons touristes. Nous avions tout misé
sur le profil « bien sous tous rapports » de Jean-Christophe
(Jisse), qui présenta son passeport le premier, pour tenter d'apaiser
les soupçons. C'était sans compter sur les craintes qu'éveillent
chaque fois mon nom iranien, et mon prénom arabe ! Et rebelote,
même scénario qu'à l'été 2009 où
j'avais attendu et été interrogée pendant 3 heures
par une bonne demi-douzaine de policiers. Attente dans une petite salle
avec d'autres passagers « louches » et confiscation des
passeports. Surprise, cette fois-ci l'interrogatoire fut réservé
à Jisse, et a été plutôt musclé, avec
une petite dose de moqueries en tous genres. Heureusement, son alibi
était au point : un voyage ornithologique en Israël, jumelles,
appareil photo et documents à l'appui. J'ai bien cru que nous
ne passerions pas, persuadée que pendant ce laps de temps les
douaniers auraient tapé mon nom sur « google » et
découvert tout un tas de liens sur la Palestine. Quelle surprise
quand, après plus de 2 heures, on nous a finalement rendus nos
passeports, tamponnés du visa. Pas si au point que ça
les douanes israéliennes ! Ou serait-ce une technique pour mieux
nous pister ? Jisse doit néanmoins signer une déclaration
sur l'honneur l'engageant à ne pas se rendre dans les terrtoires
palestiniens. Sans valeur juridique, cette déclaration vise à
décourager les plus fébriles. Pour être plus crédibles,
nous avions réservé une nuit d'auberge de jeunesse à
Tel Aviv, comme font les vrais touristes routards qui débarquent,
plutôt que filer directement vers Jérusalem, à une
heure de route.
19 décembre
Nous avons profité de la journée du lendemain
pour visiter le quartier du port de Jaffa, dont la grande majorité
des Arabes ont été chassés en 1948. Aujourd'hui,
le bord de mer est devenu branché et touristique. Un peu plus
loin, à quelques blocs de notre auberge, le front de mer est
envahi de grands hôtels de luxe : Carlton, Sheraton, ils y sont
tous. Les surfeurs cherchent le bonne vague et les joggeurs arpentent
la plage. Il souffle comme un air de liberté. Il serait si simple
d'oublier qu'à quelques dizaines de kilomètres à
l'est, un mur enferme les Palestiniens de Cisjordanie et qu'un peu plus
au sud, à Gaza, on vit dans une prison à ciel ouvert.
Tout semble si normal. Impossible ici de boycotter les produits israéliens,
et nous dérogeons à la règle à contre-cœur.
Dans l'auberge de jeunesse, une carte de la région est accrochée
au mur de l'entrée. Les territoires palestiniens sont gommés,
et Israël englobe la totalité du territoire jusqu'au Jourdain
; Gaza fait aussi partie d'Israël. Envolées les frontières
de 1967 censées définir les pourtours du futur Etat palestinien,
pourtant déjà bien morcelé. Le soir, nous rejoignons
Jérusalem en bus. Je retrouve avec un bonheur intense l'atmosphère
mystique des ruelles sombres de la vielle ville endormie et la terrasse
de la pension Hébron. C'est ici que se croisent la plupart des
visiteurs en partance ou de retour de Cisjordanie.
20 décembre
Sur le toit de la pension, nous rencontrons Mick et Sofia, deux Ecossais
engagés pour la cause palestinienne. En tout, ils sont une dizaine
d'Ecossais à avoir fait le voyage. Comme nous, ils ont répondu
à l'appel de plusieurs organisations et associations palestiniennes
de venir fêter Noël de façon solidaire, en affichant
publiquement notre soutien à leur combat pacifique contre l'occupation,
pendant la semaine du 22 au 27 décembre. En Ecosse, Mick Napier
est l'un des leaders du mouvement de défense des droits des Palestiniens.
Il a comparu devant les tribunaux, accusé d'anti-sémitisme
pour avoir osé critiquer la politique de l'état d'Israël
en perturbant une pièce de théâtre donnée
par une compagnie israélienne pendant le festival d'Edimbourg.
Toutes les charges retenues contre lui ont été jugées
irrecevables. En attendant de retrouver le reste du groupe demain soir
, nous profitons de la journée pour arpenter la vielle ville,
toujours aussi fascinante, envahie de pèlerins venus du monde
entier visiter ses lieux saints : le Saint-Sépulcre, le mur des
Lamentations... Lors d'une balade sur les toits de la ville, nous découvrons
avec stupeur que des groupes de jeunes touristes juifs américains
sont escortés d'un garde en civil armé d'un grand fusil.
Je questionne l'un deux : « Pourquoi portez-vous cette arme ?
». « C'est pour nous défendre des Arabes qui pourraient
nous attaquer », me répond-il. La propagande a bien fait
son travail : tout Arabe est un terroriste potentiel. Quel contraste
avec notre ressenti : partout, les Palestiniens nous réservent
un accueil chaleureux. Quelques rues plus loin, dans le quartier «
juif » de la vieille ville, au contraire, nous sentons un climat
plus austère et pesant. Ce soir, nous avons goûté
de sublimes pizzas au feu de bois dans un boui-boui palestinien. Nous
avons discuté avec un client, lui aussi Palestinien. Après
quelques échanges, nous l'avons interrogé pour connaître
son sentiment sur le conflit. « Etes-vous optimiste ? »
lui ai-je demandé. « Honnêtement ?... Non. Je l'étais
au début des années 90, mais maintenant, avec le gouvernement
en place, je n'y crois plus », raconte-t-il. « Avant, les
Juifs venaient aussi manger des pizzas ici, maintenant on ne les voit
plus », nous dit-il avec regret.
LA COLONISATION
DE JERUSALEM
21 décembre
Ce matin, nous avons retrouvé les personnes de notre
groupe dans un couvent à l'extérieur de la vieille ville.
C'est là que nous logerons pour les trois prochaines nuits.
Beaucoup de participants sont épuisés après une
ou plusieurs nuits dans les aéroports à cause des retards
dus aux récentes chutes de neige. A cause surtout du stress
du passage de la douane, que certains ont durement éprouvé
moyennant 7h d'interrogatoire (profil arabe oblige ). Olivia Zemor,
Présidente d'Europalestine et coordinatrice du voyage au niveau
français, a été arrêtée à
la douane et expulsée en France après de longues heures
en détention (lire
son récit complet). Ce soir, plusieurs autres ne sont pas
encore arrivés comme prévu et nous croisons les doigts
pour qu'ils n'aient pas été refoulés. Une autre
amie de Grenoble nous a rejoint, après avoir elle aussi subi
un bon interrogatoire et l'obligation de signer la déclaration
certifiant qu'elle ne se rendrait pas dans les Territoires occupés.
Pour nous tous, mentir est difficile et renverse les rôles.
Nous devenons des personnes qui ont quelque chose a cacher, alors
que le droit est de notre côté, l'occupation des territoires
étant illégale au regard du droit international.
Aujourd'hui, nous avons visité différents quartiers
de Jérusalem en compagnie de Jeff Halper, directeur et fondateur
de l'ICAHD (Israeli
committee against house demolitions), une organisation israélienne
créée en 1997 pour résister à l'expulsion
des Palestiniens et à la destruction de leurs maisons. Avec
l'aide de nombreux volontaires israéliens, palestiniens et
internationaux venus des quatre coins du monde, ICAHD aide à
rebâtir des maisons détruites par les bulldozers israéliens.
« Il ne s'agit pas de notre part de faire une action humanitaire
mais un acte politique », insiste Jeff Halper. Dans le quartier
d'Anata, situé à quelques kilomètres de Jérusalem
et encerclé par le mur, nous visitons la maison de la famille
Shawamreh, détruite à quatre reprises entre 1998 et
2003. Baptisée « Centre de paix », elle est aujourd'hui
devenue un lieu d'accueil pour les visiteurs étrangers. Salim,
le père de famille, nous raconte son parcours kafkaïen
pour tenter d'obtenir un permis de construire, systématiquement
refusé aux Palestiniens pour des raisons toutes aussi absurdes
les unes que les autres. Au final, les Palestiniens doivent se résoudre
à quitter leur terre, ou à construire en enfreignant
la loi israélienne. Aujourd'hui, plus de 15 000 maisons à
Jérusalem ont reçu un ordre de démolition, faisant
peser une véritable épée de Damoclès sur
des milliers de familles palestiniennes. Les enfants et la femme de
Salim ont été traumatisés par les démolitions
successives de leur maison, accomplies dans la violence.
Nous rencontrons les Palestiniens du « Bustan Committee »
dans le quartier arabe de Silwan,
dans la partie est de Jérusalem. Ils nous reçoivent
sous une tente, menacée de destruction. Eux aussi résistent
au quotidien contre la réquisition de leurs maisons. Une soixantaine
est déjà passée aux mains des colons, et 88 sont
sous le coup d'un ordre de démolition. A l'oeil, une implantation
de colons se reconnaît à son drapeau israélien
planté au-dessus de l'habitat, et aux boîtes aux lettres
devant la maison. Le prétexte religieux (il y a 2000 ans, cette
terre appartenait aux juifs et leur revient) est utilisé à
des fins politiques : l'expansion du territoire de l'Etat hébreux.
Les Palestiniens de Silwan, dont certains sont là depuis de
multiples générations, ont proposé à la
municipalité de Jérusalem de créer un jardin
autour de leurs maisons, dans lequel les Juifs pourraient venir se
promener sur ce lieu chargé de sens. « La municipalité
a refusé toutes nos offres », raconte l'un d'eux. «
Ce qu'elle veut, c'est que nous quittions les lieux ». Régulièrement,
des enfants et adolescents palestiniens sont enfermés, parfois
plusieurs mois, pour avoir jeté des cailloux. « Nous
avons préparé des chaînes pour nous attacher à
nos maisons s'il le faut, et même nos linceuls », conclut
l'un d'eux.
Le refus de tout permis de construire
aux Palestiniens entraîne une baisse du nombre de logement disponibles,
beaucoup craignant de voir leur maison démolie avant même
d'avoir pu y vivre. La pression foncière fait donc monter les
prix et oblige de nombreux Palestiniens à quitter Jérusalem
pour aller se loger plus loin en périphérie. « Lorsqu'un
Palestinien quitte la ville, il perd automatiquement son statut de résident
israélien et ne peut plus revenir y vivre ni même y travailler
», explique Jeff Halper. C'est une technique de plus pour éloigner
les Palestiniens de Jérusalem.
Nous faisons une halte au pied du mur dans le quartier arabe de Jérusalem
est. Ici, le mur montre son absurdité dans toute sa splendeur.
Il ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens mais
séparent les Palestiniens entre eux, contribuant à leur
isolement. « Les raisons sécuritaires pour la construction
de ce mur sont un prétexte », explique Jeff Halper. «
Sa véritable raison d'être est l'annexion continue de terres
palestiniennes ». Nous découvrons aussi un nouveau type
de mur qui sépare une route en deux dans sa longueur. Les Israéliens
roulent d'un côté de ce mur, les Arabes de l'autre. «
Même les Sud-africains n'avaient pas pensé à séparer
les conducteurs », ironise Jeff Halper. Ce mur n'existait pas
lors de mon voyage en août 2009, il vient de sortir de terre.
Nous faisons un petit tour dans la vaste colonie de Maale Adumin, située
en Cisjordanie non loin de Jérusalem. Son extension en direction
de Jérusalem va sectionner encore davantage ce qu'il reste des
Territoires palestiniens. Tout alentour est désertique, mais
ici, tout est vert et fleuri ; il y a quatre piscines de taille olympique
et un parc aquatique est en construction. Il sera baptisé «
Parc de France », en remerciement à ses financeurs français.
A quelques kilomètres de là, les Palestiniens sont rationnés
en eau, sur leur propre territoire. « La plupart des Israéliens
vivant ici n'ont pas conscience d'être des colons », explique
Jeff Helper. Le gouvernement les a encouragés à s'y installer
à coup de fortes aides financières. A la différence
des colons extrémistes d'Hébron, motivés par des
considérations idéologiques et religieuses, ceux-là
recherchent juste un meilleur cadre de vie ». Ainsi progresse
la colonisation. Jeff nous explique que les mots « colons »,
« colonies » ou « occupation » ne font pas partie
du vocabulaire hébreux. On parle de « résidents
des communautés de Judée et Samarie ». On mentionne
aussi des voisins « arabes », perçus comme une menace,
mais en aucun cas des « Palestiniens ». Les nommer, c'est
reconnaître leur existence...
ENTREE DANS LE
VIF DU SUJET
22 décembre
Pour rencontrer nos hôtes palestiniens, organisateurs du programme
de la semaine, nous avons dû passer de l'autre côté
du mur, en Cisjordanie, beaucoup d'entre eux étant interdits
d'entrer à Jérusalem. Dans une salle de l'auberge de
jeunesse (YMCA) de Beit Sahour, un petit village proche de Bethléem,
ils nous ont présenté les grandes lignes du programme
des jours à venir. Les militants de l'organisation Chrétiens
bâtisseurs de paix (Christian peacemaker teams), de diverses
nationalités, étaient là aussi, pour nous parler
de leur travail sur place. Leur objectif est de soutenir les Palestiniens
dans leur combat pacifique et de faire connaître ce combat dans
leur pays d'origine respectifs. Ils présentent les consignes
du « manuel du militant non-violent », que beaucoup d'entre
nous commencent à connaître un peu. L'essentiel est de
garder en tête que nous sommes là pour les Palestiniens,
et que nous devons agir en fonction de ce qu'ils estiment utile. Se
rappeler aussi que le seul risque que nous courrons, en tant qu'étrangers,
c'est l'expulsion avec interdiction de retour sur le territoire (au
pire une brève arrestation). Eux (et leurs familles) risquent
un emprisonnement à durée indéterminée,
et un harcèlement quotidien de la part de la police, que la
plupart, déjà connus des services de « sécurité
» israéliens, subissent déjà au quotidien.
Pour autant, nous sommes là pour manifester notre mécontentement
et condamner la politique d'Israël, c'est aussi ce qu'attendant
de nous les Palestiniens. Difficile de trouver le juste équilibre.
Le retour à Jérusalem fut plus compliqué que
la sortie matinale. Sur les deux bus, l'un d'entre eux, dans lequel
nous nous trouvions, a été arrêté au checkpoint.
Le règne de l'arbitraire. Nous avons dû en descendre
et traverser le poste à pied, en franchissant ces sordides
tourniquets avec d'autres Palestiniens, dont c'est le sort quotidien.
Le tout a duré environ une heure. Et toujours cette même
sensation d'être une vulgaire pièce de bétail...
En début d'après-midi, nous avons été
accueillis dans la cour extérieure du siège de la Croix
Rouge de Jérusalem. Là, nous avons rencontré
des parlementaires palestiniens élus lors des élections
législatives de 2006, reconnues transparentes et démocratiques
par tous les observateurs internationaux. Ils sont réfugiés
ici, sous l'égide de la Croix Rouge, depuis 175 jours, menacés
d'expulsion par Israël pour avoir manqué de loyauté
envers l'Etat hébreux. Ces hommes-là, bien qu'élus
dans leur municipalité de Jérusalem est, ont été
emprisonnés à la suite des élections, pendant
trois ans et demie. Le même sort à été
réservé à 45 députés et 20 membres
du gouvernement palestinien. Raison réelle de leur mise au
ban : leur appartenance au parti « changement et réforme
», rattaché au Hamas, pourtant entré dans le jeu
politique institutionnel depuis 2006. Pour la Croix Rouge, qui leur
fourni des chambres, la situation est inédite, d'autant plus
que la neutralité fait partie des principes fondamentaux de
cette institution. Les trois hommes se sont réfugiés
ici un mois après l'assaut meurtrier d'Israël sur la flottille
humanitaire en route pour Gaza. « L'armée israélienne
pourrait venir nous arrêter ici, mais après le drame
de la flottille, elle se passerait sans doujte volontiers d'un autre
scandale », explique Muhammad M. Abu Tier, l'un des parlementaires.
« Notre seul ennemi est l'occupation, en aucun cas les autres
religions, avec lesquelles nous pouvons cohabiter », ajoute-t-il.
« le Président de l'autorité palestinienne, Mahmoud
Abbas, a dit qu'il ferait son possible pour éviter notre déportation,
mais pour le moment, les choses n'ont guère évolué
», conclut-il.
Nous nous rendons ensuite dans le quartier
arabe de Sheikh
Jarrah où, comme à Silwan, les expulsions de maisons
vont bon train, au profit des colons juifs. Nous rencontrons une famille
forcée de vivre dans un bâtiment inachevé, totalement
délabré, dans des conditions déplorables. 33 familles
vivent ici dans les mêmes conditions. Leurs maisons d'origine,
autrefois située à l'intérieur des frontières
de Jérusalem, a été classée en dehors de
la zone de la municipalité. En y restant, les membres de ces
familles auraient perdu leur carte de résident de Jérusalem
(la fameuse « blue card ») et donc, le droit de pouvoir
y travailler.
Nous concluons la journée devant la célèbre porte
de Damas, une des entrées de la vieille ville, où nos
hôtes palestiniens souhaitaient organiser un rassemblement aux
chandelles. Seul problème : en l'absence de tout drapeau ou slogan,
notre présence pouvait paraître quelque peu incongrue...
Une partie du groupe, soucieux de faire passer le message, a entonné
une série de slogans, « Free palestine » etc. Ce
qui nous valut le débarquement de policiers et l'interdiction
de nous rendre dans la vieille ville où nous étions attendus
au « centre africain » pour un spectacle de danses traditionnelles.
En catimini, se fondant dans la masse des touristes, une dizaine de
personnes du groupe ont réussi à s'y rendre.
Ce soir, nous apprenons l'arrestation de Mazin Qumsiyeh, responsable
du YMCA où nous nous étions réunis le matin même
à Beit Sahour. Nous apprendrons par la suite que sept autres
Palestiniens ont été arrêtés avec lui, tous
leaders du mouvement de la résistance populaire non-violente,
notamment dans le village de Al Walaja. Ils ont été libérés
le lendemain.
23 décembre
Nous commençons la journée par la visite d'une école
dans le camp de réfugiés de Shu'Afat, placé sous
l'égide de l'agence des Nations Unies UNRWA. Ce camp héberge
4000 personnes, en faisant une des zones les plus densément peuplée
de Jérusalem. Sa particularité tient à l'invraisemblable
complexité de son statut, totalement hybride. « Un monstre
juridique » comme la décrivent certains. Bien que situé
à l'intérieur de l'enceinte de Jérusalem en terme
juridique, Israël a décrété que ce camp était
en Cisjordanie. Les habitants sont donc porteurs de la carte de résidents
de Jérusalem, mais doivent franchir un checkpoint et le mur pour
accéder au camp. Israël reconnaît théoriquement
ses habitants, qui sont pourtant des réfugiés. Les moyens
mis à disposition de l'école restent sont très
basiques.
En arrivant à l'école, nous rencontrons un Palestinien
dont la soeur est décédée et qui ne peut se rendre
à ses obsèques, les soldats israéliens ne l'autoriant
pas à franchir le checkpoint. Certains d'entre nous veulent tenter
de l'aider à traverser le checkpoint, mais une partie de la famille
du Palestinien s'oppose à cette intervention "extérieure",
pour des raisons sans doute complexes que nous ignorons. Cette histoire
est d'une affligeante banalité dans le quotidien des Palestiniens.
Nous visitons ensuite le petit village de Nabi Samuel où les
conditions de vie sont rendues pratiquement impossibles pour faire partir
les Palestiniens qui y vivent encore. Nous visitons aussi un étrange
bâtiment dans lequel mosquée et synagogue cohabitent dans
la même enceinte. Une cohabitation rendue parfois difficile par
le comportement peu respecteux de certains juifs, comme nous avons pu
le constater lors de notre passage. Sans doute uen façon de plus
de tenter de décourager les Palestiniens de s'éterniser
ici...
Sur le chemin du retour, nous faisons une halte au village en ruines
de Lifta, évacué par la force des armes par les soldats
israéliens en 1948. Nous rencontrons des femmes qui étaient
de petites filles lorsque le village fut vidé de ses habitants
palestiniens.
Ce soir, un petit groupe d'entre nous est retourné dans le quartier
de Sheikh Jarrah où trois familles ont été expulsées
de leurs maisons depuis août 2009. La scène est surréaliste,
car une partie de leur maison est maintenant en partie habitée
par une famille de colons juifs.
A BAS LE MUR
Vendredi 24 décembre
Notre groupe a quitté Jérusalem au petit matin pour
rejoindre la manifestation pacifique hebdomadaire du village de Al
Waladja, dans les environs de Bethléem, aux côtés
d'autres internationaux, de Palestiniens et d'Israéliens anti-colonialistes.
La police était au courant de notre présence et a installé
des checkpoints volants. Grâce à la réactivité
des organisateurs palestiniens, nous avons réussi à
contourner les contrôles en passant par des petites routes.
Nous avons finalement rejoint le départ du cortège de
la manifestation, comptant environ 150 à 200 participants.
Celle-ci s'est déroulée dans le calme, a franchi la
tranchée délimitant le tracé du mur en construction,
et a ensuite longé le futur tracé du mur. De nombreux
slogans ont été chantés pour protester contre
la construction de ce mur illégal, accompagnés de plusieurs
discours, dont celui du maire du village et de Shirin, une palestinienne
résidente d'Al Waladja engagée dans le mouvement de
résistance non-violente. L'armée israélienne
n'a pas fait de démonstration de force, contrairement à
ce qui s'est passé dans le village de Bilin le même jour.
La manifestation s'est dispersée dans le calme.
Nous avons ensuite rejoint
Bethléem et investi la place de la Nativité, vêtus
de chasubles jaunes fluo "Free Palestine", distribuant des
cartes de Noël "spécial Palestine" a des centaines
de pèlerins du monde entier. Un peu plus tard, nous avons entendu
un membre de l'unité de négociation" de l'OLP a
propos de la situation actuelle : "Depuis la mise en place de
checkpoints, de très nombreux pèlerins ne peuvent plus
venir célébrer Noël a Bethléem (...) Ici
comme ailleurs en Palestine, Israël mène une stratégie
de suffocation et d'asphyxie du peuple palestinien, pour l'encourager
a fuir son propre pays. Avec le soit-disant "processus de paix",
la population des colons est passée de 200 000 a 500 000",
constate-t-il.
Le soir, nous avons été
accueillis dans le camp
de réfugiés d'Aida, proche de Bethléem. Nous
y avons passe la nuit, la plus grande partie des personnes étant
logées dans des familles du camp. 5000 personnes vivent ici,
dont 66% ont moins de 18 ans. Depuis 2005, le camp est encercle par
le mur. La troupe d'artistes d'Al-Rowwad
tente de redonner espoir aux réfugiés du camp, l'un
des trois camps de la municipalité de Bethléem.
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ARRESTATIONS A HEBRON
Samedi 25 décembre
En début d'après-midi, nous avons rejoint le cortège
de la manifestation pacifique hebdomadaire organisée par les
Palestiniens pour protester contre la colonisation de la ville et
leur impossibilité de s'y déplacer librement.
A deux reprises les manifestants ont été bloqués
dans les rues de la vieille ville par l'armée israélienne
et repoussés violemment. La deuxieme fois, dans les ruelles
étroites, un Ecossais a été frappé et
arrêté ainsi qu'une militante israélienne et un
Francais de notre groupe. Avec une délégation de cinq
Francais et la délégation des Britanniques, nous sommes
restés quelques heures à Hébron en attendant
des nouvelles de nos deux camarades. De retour a Bethléem dans
la soirée, nous avons appris leur libération. Ils devraient
nous rejoindre d'ici peu.
Plus tôt dans la matinée, nous avons visité la
vieille ville d'Hébron. C'est la plus grande ville de Cisjordanie,
avec 250 000 habitants. Elle incarne l'horreur de la colonisation
dans toute sa splendeur. Partout où des colons s'emparent d'habitations,
jusqu'au coeur même de la vieille ville, les magasins et logements
arabes alentour ferment les uns après les autres en raison
du harcèlement des colons, qui se baladent armés en
pleine ville. Tout cela avec la bénédiction des soldats
israéliens qui leur offrent leurs services de "protection"
à grand renfort de miradors, barbelés et caméras
de surveillance. Les rues centrales du marché prennent une
allure de champ de guerre. De grands filets ont été
tendus au-dessus des vieilles échoppes survivantes afin de
récolter les ordures et pavés jetés par les colons
qui ont investi les habitations situées aux étages supérieurs.
Sur les toits des maisons palestiniennes, les citernes destinées
à stocker l'eau sont percées par des tirs de balle.
Ce qui fut autrefois l'une des artères les plus importantes
de Cisjordanie a été entièrement confisquée
par les colons juifs. Depuis des années, les commerces et habitations
sont laissés à l'abandon et le visiteur découvre
une veritable ville fantôme en s'y promenant. Vision d'horreur
: sur les portes des bâtiments arabes désertés,
des étoiles juives ont été dessinées par
l'occupant juif... Ca ne vous rappelle rien ? Ce sombre tableau est
complété par les va-et -viens de jeunes colons arpentant
la rue, fusils en bandoulière. Ici, les Arabes sont interdits
d'accès. Notre guide, Issa, à peine entré dans
le quartier, n'a pas échappé a la surveillance des soldats
qui lui ont donné l'ordre de faire marche arrière, en
l'escortant jusqu'a l'entrée.
Au total, 43% des Palestiniens habitant la vieille ville ont dû
quitter leurs logements. 1800 boutiques ont été fermées
et 1500 habitations désertées. 600 colons ont pris place
dans la vieille ville, protégés par environ 2000 soldats.
"Les habitants de Tel Aviv se disent pour la plupart opposés
à la colonisation d'Hébron. Pourtant, les Israéliens
ont élu ce gouvernement à une large majorité.
Tant qu'ils ne mettront pas la pression sur leur gouvernement pour
qu'il cesse cette politique, je les tiendrai pour responsables de
ce qui nous arrive. J'ai de nombreux ami israéliens qui militent
contre la politique de leur gouvernement, mais ils sont malheureusement
très minoritaires en Israël", déplore Issa,
notre guide palestinien.
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NEUF FRANÇAIS
ET UN PALESTINIEN ARRETES
Dimanche 26 décembre
Nous avons quitté le camp d'Aida ce matin et nous sommes rendus
au checkpoint de Kalandia (Ramallah), célèbre goulet
d'étranglement entre la Cisjordanie et Jérusalem, où
nous avons manifesté, revêtus de nos gilets « Free
Palestine », en compagnie de Palestiniens du mouvement de la
résistance populaire. Les manifestants pacifiques n'ont cessé
de scander leurs slogans face aux soldats, leur rappelant les violations
constantes du droit international par Israël. Les soldats ont
arrêtés brutalement un Palestinien et neuf Français.
BILIN : LES MANIFESTANTS
GAZES POUR AVOIR PLANTE DES OLIVIERS
Dimanche 26 décembre
Alors que neuf Français sont encore détenus dans un
poste de police israélien (le Palestinien a été
libéré), possiblement en attente d'être expulsés
vers la France, le reste du groupe a rejoint cet après-midi
le petit village de Bilin,
haut lieu de la résistance non violente en Cisjordanie.
En plus de la manifestation hebdomadaire du vendredi, un cortège
a été organisé ce dimanche pour protester contre
l'annexion de terres palestiniennes par le mur, matérialisé
dans ce village par des hautes barrières barbelées.
Objectif de la manifestation : mettre en terre 200 plans d'oliviers
aux abords du mur. Connus pour avoir la gâchette facile, les
soldats israéliens n'ont pas trahi leur réputation.
Alors que des manifestants plantaient un olivier au pied des barbelés,
des bombes sonores ont été lancées dans leur
direction. Peu après, des tirs de grenades lacrymogènes
ont rayé le ciel en tous sens, obligeant les manifestants à
battre en retraite.
Réunis après la manifestation, nous avons entendu un
représentant du Fatah, présent sur place, sur la situation
actuelle en Palestine. « Depuis 19 ans, l'Autorité palestinienne
a voulu croire au « processus de paix » avec Israël.
Aujourd'hui, nous ne croyons plus à ce soit-disant processus
pour apporter une solution aux Palestiniens. Pendant tout ce temps,
Israël a poursuivi la construction des colonies et l'occupation,
nous enfermant dans de véritables ghettos. Par ma présence
ici ce soir, je voudrais vous signifier le soutien de mon parti au
mouvement de la résistance populaire ». Interrogé
sur la relation du Fatah avec le Hamas, il poursuit : « Avec
le Hamas, nous combattons le même ennemi mais avons des méthodes
différentes. Nous croyons à l'importance du droit international
et nous opposons à prendre des civils pour cible. Israël
fait tout son possible pour nous diviser, mais nous nous réunirons
très prochainement ».
Ce soir, nous sommes accueillis par les familles palestiniennes de
Bilin, où nous passeront la nuit. Demain matin, nous partirons
en direction de Naplouse, pour le dernier jour officiel de cette semaine
de rencontres avec les Palestiniens.
A propos des Français arrêtés
:
Trois d'entre eux avaient déjà passé la nuit
hors de la prison. L'une de ces militantes, Saloua, qui avait reçu
de sévères coups lors de son arrestation, a été
conduite à l'hôpital ce lundi matin , où elle
a été placée sous perfusion en raison d'une tension
très basse. Selon une communication de leur avocat ce matin,
ils devraient être libérés prochainement. Contrairement
à ce qui a été annoncé par le gouvernement
israélien, aucune pierre n'a jamais été lancée
par les manifestants.
Nous prenons maintenant la route pour une autre manifestation, aux
abords d'une colonie.
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L’ARMEE SOUTIENT
LES CRIMES DES COLONS ET TIRE SUR LES MANIFESTANTS PACIFIQUES
Lundi 27 décembre
Le matin, nous avons fait une brève escale à Naplouse
(visite de l'université et de la vieille ville et accueil par
le maire, historique du siège enduré par l'armée
israélienne pendant la période de l'intifada...). Pris
par le temps, nous avons dû abréger notre halte pour
rejoindre directement un cortège de manifestants palestiniens
nous attendant au village de Beitin.
En temps normal, ce village se trouve à cinq minutes en voiture
de Ramallah. Mais depuis quelques temps, les colons installés
à proximité ont barré la route à l'aide
de gros blocs de pierre, gravas et matériaux en tous genres,
dans le seul but d'entraver la circulation des Palestiniens. Les villageois
doivent désormais utiliser une autre route de contournement,
mettant une demi-heure pour rejoindre Ramallah (route que nous avons
nous-même emprunté pour parvenir au village). A plusieurs
reprises, les villageois de Beitin ont tenté de déplacer
les pierres bloquant la route. Chaque fois, ils ont été
agressés par les colons, doigts sur la gâchette. Ils
nous ont donc sollicités pour les aider, comptant sur la présence
d'internationaux pour calmer l'agressivité des colons.
Lorsque nous sommes arrivés sur place vers 16 heures, nous
avons été accueillis par une petite centaine de Palestiniens,
certains venus d'autres villages pour apporter leur soutien à
cette manifestation. Rapidement, le cortège s'est mis en route.
En moins de cinq minutes, nous sommes arrivés au niveau des
premiers gros blocs posés au milieu de la route. Devant eux,
un cordon de soldats nous barrait la route, pour nous empêcher
de déplacer ces blocs. Nous avons tenté de les contourner
par la droite dans un champ, descendant en direction d'un second barrage
de pierres au milieu de la route. Derrière, Ramallah, si proche.
Là encore, des soldats nous attendaient, mains sur le fusil.
Nous nous sommes avancés tranquillement dans leur direction,
pacifiquement, drapeaux palestiniens en main, pour manifester notre
mécontentement. Quelques secondes plus tard, une, puis plusieurs
bombes sonores ont été lancées au milieu des
manifestants, commençant à éparpiller la foule.
Presque simultanément, les tirs de gaz lacrymogènes
ont fusé de toute part, tirés quasiment à hauteur
d'hommes, augmentant le risque de blessures. Difficile de qualifier
l'agressivité des soldats israéliens face à des
manifestants seulement armés de leurs slogans. La foule des
manifestants, incluant de nombreux enfants, a été asphyxiée
à plusieurs reprises, coincée en sandwich entre plusieurs
nuages de fumée toxique. Pendant une demi-heure, et alors que
les manifestants avaient largement battu en retraite, les tirs se
sont poursuivis, sur une très grande distance. Un tir de balle
en caoutchouc a même été entendu alors que la
foule s'était déjà dispersée hors de portée
des soldats israéliens.
Notre groupe de Français a été psychologiquement
secoué par cet épisode, obligés de constater
avec impuissance l'inégalité des forces en jeu, et la
complicité des soldats venus couvrir de manière inconditionnelle
les crimes des colons jusque dans leurs actes les plus racistes. Qu'on
ne me parle plus de la « démocratie » d'Israël,
qu'on ne me parle plus non plus du « processus de paix ».
Il suffit de ses yeux pour constater que sur le terrain, le gouvernement
n'a pas la moindre intention de stopper la colonisation. Pourquoi
le ferait-il, puisque la communauté internationale n'a pas
le courage de la moindre sanction à son égard ? Tel
un enfant sans cadre, Israël franchit un à un les seuils
de la cruauté. Combien de temps encore les Palestiniens tiendront-ils
face à tant d'acharnement ? Profondément chamboulés,
nous remontons dans nos bus à contre-coeur, tristes de devoir
laisser les villageois de Beitin seuls face à tant d'injustice.
La brutalité de l'armée israélienne et la folie
des colons ne nous fera pas baisser les bras. Au contraire, elle renforce
note détermination à poursuivre ce combat pour le respect
du droit. Nos manifestations de ces derniers jours ont fait la une
des journaux locaux et nationaux, et nous recevons de nombreuses marques
de sympathies de la part des Palestiniens que nous rencontrons. Tous
ont des histoires à nous raconter, des histoires qui font froid
dans le dos.
Ce soir, la grande majorité de notre groupe repart vers Jérusalem,
puis la France. Nous sommes une petite dizaine seulement à
dormir à Naplouse, avant de rejoindre le camp de réfugiés
de Jénine, au nord de la Cisjordanie.
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JENINE ET TULKAREM
: BASTIONS DE LA RESISTANCE
Mardi 28 et mercredi 29 décembre
Notre groupe réduit à une petite dizaine s'est rendu
mardi à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Du fait
de sa situation excentrée, cette petite ville est un peu à
l'écart des « circuits » des visiteurs en Palestine.
A notre arrivée, nous avons été accueillis dans
le centre
Hakoura, à proximité de la ville. Depuis trois ans,
ce centre aux bâtiments modernes fonctionne en partenariat avec
la Guilde française qui le subventionne à hauteur de
70%. Il propose aux Palestiniens des cours d'anglais, de français
et d'informatique, avec accès à des ordinateurs, et
travaille aussi sur un volet tourisme et commerce solidaire. L'un
des coordinateurs d'Hakoura nous emmène visiter le camp
de réfugiés de Jénine où nous passerons
aussi la nuit. Jénine fut notamment l'un des gros bastions
de la résistance contre Israël lors de la deuxième
intafada. A deux reprises, les résistants, retranchés
dans le camp de réfugiés, ont réussi à
repoussé l'occupant israélien. Cela leur valut le bombardement
par les avions F16 puis l'assaut du camp avec l'artillerie lourde
(tanks, snipers...) dans les premiers jours d'avril 2002. Le "massacre
de Jénine" fit 53 victimes, en grande majorité
des civils, et plusieurs centaines d'habitations furent entièrement
détruites. De nombreux murs sont aujourd'hui encore criblés
de balles. Comme toutes les familles du camp, celle qui nous accueille
ce soir (palestino-algérienne) a vécu dans la peur ces
jours dans la peur, terrée dans sa maison. Avant l'attaque,
les enfants ont cru entendre des dinosaures aux portes du camp...c'était
tout simplement les tanks israéliens.
16 000 habitants vivent aujourd'hui dans le camp de Jénine,
sur une surface d'un kilomètre carré. La grand majorité
a entre 13 et 30 ans. Depuis la construction du mur au début
des années 2000, le taux de chômage bat des records (supérieur
à 70%), les Palestiniens n'ayant pour la plupart pas obtenu
le permis pour venir travailler en Israël, les conditions étant
difficiles à remplir : être marié, avoir plus
de 35 ans, avoir des enfants, et surtout, répondre aux critères
de sécurité exigés, autant dire, être dépendant
de l'arbitraire israélien. Comme les autres camps de réfugiés,
celui-ci se trouve sous l'égide de l'agence des Nations Unies
UNRWA, responsable de l'éducation et de la santé. Son
programme alimentaire s'est réduit drastiquement depuis quelque
temps. Le camp de Jénine s'est fait connaître grâce
à son « Théâtre de la Liberté »
créé par une Juive israélienne en 2006 pour offrir
une porte de sortie et un espoir à des jeunes du camp, souvent
atteint de traumatismes psychologiques. La troupe a été
invitée pour une tournée en France, en Autriche et en
Allemagne. La structure propose également des ateliers multimédia.
Une fois encore, l'accueil dans les familles est un grand moment de
partage et une démonstration supplémentaire de l'hospitalité
palestinienne.
Le lendemain, nous rejoignons le ville de Tulkarem, à l'ouest,
et son camp
de réfugiés. Salem, professeur d'anglais bénévole
dans le centre d'accueil « Al Aouda », nous emmène
dans les rues insalubres du camp. La densité de population
est encore plus forte ici, avec 20 000 personnes vivant sur un kilomètre
carré. C'est le deuxième plus gros camp de Cisjordanie
après celui de Balata, à Naplouse. Ici aussi, la résistance
contre l'occupant israélien a été tenace, avec
les mêmes conséquences : plusieurs dizaines de tués
parmi les civils du camp. Dans la rue, une femme nous invite dans
sa maison pour boire le thé en compagnie de l'un de ses fils
et de petits enfants. Comme dans les autres camps, les familles vivent
dans la même crainte : être de nouveau chassés,
comme en 1948, par les Israéliens. Sans espoir de revoir la
terre de leur enfance, ces Palestiniens ont désormais créé
de nouvelles attaches dans ces camps, où les tentes puis les
bidonvilles ont fini par être remplacés par des habitats
en dur, souvent très sommaires. « J'espère que
les Juifs nous laisseront vivre ici et ne nous chasserons pas une
seconde fois » dit la mère de famille. Au mur, le portrait
d'un proche, condamné à 24 ans de prison en Israël
pour avoir pris part à la résistance lors de la deuxième
intafada à l'âge de 22 ans. Il fait partie de la longue
liste des martyres tués ou emprisonnés par l'armée
israélienne.
Hier soir, nous avons quitté avec nostalgie le reste du groupe,
reparti en France. Jisse et moi poursuivons notre petit périple
en Cisjordanie. Aujourd'hui, nous quittons Tulkarem pour rejoindre
Ramallah puis Al-Masara, où nous devons retrouver Mahmoud,
le maire du village. Demain, nous avons prévu de participer
à ses côtés à la manifestation organisée
ici aussi chaque vendredi pour protester contre le mur qui grignote
chaque jour un peu plus les terres des Palestiniens.
MORT D’UNE
PALESTINIENNE A BILIN
1er janvier 2011
De retour à Hébron le temps d'une nuit dans une famille
et d'une balade dans la vieille ville, nous apprenons à l'instant
la mort d'une Palestinienne lors de la manifestation hebdomadaire
de Bilin hier. Elle serait décédée des suites
d'inhalation des gaz lacrymogènes lancés hier sur les
manifestants par les soldats israéliens. Elle avait été
emmenée d'urgence à l'hôpital de Ramallah hier.
La victime, Jawaher Abu Rahmah, est la soeur de Bassem Abu Rahmah,
lui-même tué à Bilin lors de la manifestation
du 17 avril 2009 durant laquelle il avait été frappé
de plein fouet par une grenade lacrymogène.
Cette terrible nouvelle vient de nous être communiquée
par Mahmoud Zwahre, membre du Comité populaire de la résistance
à Al Masara, au côté duquel nous avons manifesté
hier, essuyant nous aussi de nombreux tirs de bombes lacrymogènes.
Le premier ministre palestinien Salaam Fayyad, avait rejoint le rang
des manifestants de Bilin avec d'autres militants du Fatah, célébrant
ce même jour la date anniversaire de la création de leur
parti politique.
Pendant que les manifestants tentaient de briser le mur à Bilin,
la mobilisation à Al'Masara à peiné à
rassembler du monde, malgré un noyau dur de la résistance
non-violente. Nous étions une grosse cinquantaine environ,
avec une dizaine de Français. Pour autant, l'agressivité
de l'armée israélienne est ici comme ailleurs.
Le mur ne passe pas encore à Al Masara mais les habitants ont
été informés de sa future construction dans un
courrier reçu fin 2006. Son tracé prévoit d'empiéter
de 12 kilomètres sur les terres palestiniennes, à l'intérieur
des frontières de 1967. Suite aux premières destructions
de champs et arrachages d'arbres fin 2006, le Comité populaire
a été créé à Al Masara, organisant
les premières manifestations hebdomadaires pacifiques. Depuis
un an, les travaux de construction du mur ont été suspendus,
sans raison connue.
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DERNIERS JOURS
EN PALESTINE
1er janvier 2011
Après la manifestation d'Al Masara, nous sommes repartis en
direction d'Hébron pour une dernière balade dans la
vieille ville. Nous avons été hébergés
par une famille via l'association France-Hébron, créée
en 1997 par des francophones et Français résidant sur
place, et visiblement bien connue localement. Outre le placement dans
des familles d'accueil, des cours de français et activités
culturelles, l'association propose des visites guidées dans
la vieille ville, avec un éclairage sur le contexte politique
(infos sur www.hebron-france.org). Nous avons passé la dernière
soirée de l'année dans un café autour d'un narguilé,
discutant avec notre hôte Rachid et son cousin Basel, prof d'économie
pendant plusieurs années à Aix-en-Provence. Sa vision
du « conflit » est intéressante. Comme pour beaucoup
de Palestiniens rencontrés, les accords d'Oslo, présentés
à l'extérieur comme un pas en avant vers la paix, ont
causé beaucoup de tort à leur cause. Ils ont contribué
à les diviser, instaurant notamment les zones A, B et C en
Cisjordanie, la zone C, la plus importante, instaurant un contrôle
israélien total sur les populations. Il déplore aussi
les distinctions de statut des Palestiniens, en fonction de leurs
zones géographiques : les Jérusalémites, les
réfugiés de 48, les Palestiniens de Cisjordanie ou encore
les Gazaouis. Pour lui, ces divisions ne font qu'affaiblir les revendications
des Palestiniens, les enfermant dans des problématiques particulières
tendant à faire oublier la cause globale du problème
: l'occupation israélienne. A propos de la résistance,
il craint une certaine résignation des Palestiniens, finissant
par accepter leur sort actuel, jugé finalement « correct
» comparé aux violences extrêmes perpétrées
par l'armée israélienne pendant les périodes
d'intifada. Comparé aussi à la situation des Palestiniens
de Gaza. Se disant que, finalement, « ça pourrait être
pire ».
De retour dans le camp d'Aida à Béthleem, nous avons
cependant pris le pouls d'une forte résistance, bel et bien
active. Pour cette deuxième visite, nous y avons été
reçus par les salariés et bénévoles du
Lajee Center, fondé en 2000 grâce à la motivation
de plusieurs jeunes et à quelques dons de particuliers étrangers.
Aujourd'hui, le centre tourne avec plusieurs employés et propose
de nombreuses activités aux jeunes et familles du camp d'Aida
: activités culturelles (danse, musique), ateliers multimédia,
expositions photos et projections de films, salle d'ordinateurs...
« Depuis les accords d'Oslo, rien n'a changé pour les
réfugiés, c'est à nous de faire avancer les choses
» explique Salah, directeur du centre. Salah insiste sur le
fait que le centre fonctionne en dehors de toute influence politique,
et n'hésite pas à refuser les propositions de financements
« sous conditions », comme celles de l'organisation US-AID
notamment. De même, le centre refuse de collaborer avec les
associations israéliennes, même anti-colonialistes, qui
ne reconnaissent pas le « droit au retour » des réfugiés
palestiniens comme principe de base. Le Lajee center travaille en
collaboration avec l'association Zochrot, basée à Tel
Aviv, apparemment seule à reconnaître ce droit. «
Il est possible voire probable que bon nombre de réfugiés
choisiraient de rester dans leurs pays d'exil, voire même dans
les camps où ils ont désormais construit leurs maisons,
mais c'est à eux seuls d'en décider. Le droit au retour
n'est pas négociable », explique la soeur de Salah, qui
travaille elle aussi au centre.
De même, poursuit Salah, le Lajee center refuse les opérations
purement cosmétiques ou marketing : « Certaines organisations
à l'étranger nous proposent des tournées figurant
Israéliens et Palestiniens sur une même scène,
comme pour donner l'illusion d'une entente. Mais cela ne reflète
pas la réalité; Sur le terrain, les Palestiniens subissent
l'occupation au quotidien. Une autre fois, nous avons été
invités à nous produire lors dun' festival en Belgique.
Lorsque nous avons demandé quel était le but de notre
venue, on nous a répondu : « C'est pour que vous passiez
un bon moment ». Mais nous ne sommes pas là pour ça,
nous avons un message politique à faire passer ». Le
centre Lajee propose des activités à plus de 800 enfants
par an. De nombreux volontaires internationaux viennent y travailler
chaque année, offrant leurs compétences variées.
Nous passons la nuit dans la famille de Mohammad, salarié du
centre Lajee après de longues années de volontariat,
aujourd'hui spécialisé dans la photographie. Nous retrouvons
aussi John, l'Ecossais arrêté lors de la manifestation
à Hébron qui lui a valu une fracture à la main.
Avec une Française de notre groupe encore sur place, il a participé
à la manifestation de Bilin de vendredi au cours de laquelle
une Palestinienne a été tuée. Son témoignage
fait froid dans le dos. Il raconte l'intensité des tirs de
grenades lacrymogènes, à tous les niveaux du cortège
de la manifestation, visant directement les personnes. Une grenade
est passée à quelques centimètres de la tête
de la Française. Pourtant habitué à essuyer ces
gaz, John en ressent encore l'effet le lendemain.
2 janvier 2011
Le matin, nous nous joignons à un groupe d'Américains
pour une visite guidée dans les rues du camp d'Aida, très
affecté lui aussi par l'invasion de l'armée israélienne
lors de la deuxième intifada. 27 personnes y ont trouvé
la mort, en grande majorité des civils. Aujourd'hui, le mur
encercle le camp sur plusieurs côtés. Comme dans les
autres camps, les services sont réduits au strict minimum et
les rues sont insalubres. La rationnement en eau, réquisitionnée
par les israéliens, est en vigueur. A quelques pas de là,
l'hôtel Inter-Continental de Bethléem remplit sa piscine
pour ses hôtes, avec plusieurs suites de luxe « offrant
» une vue directe sur le camp.
Dans l'après-midi, nous avons ensuite regagné Jérusalem,
le coeur serré de quitter si vite la Cisjordanie et ses habitants,
si chaleureux. Nous reviendrons. Hier soir, nous avons retrouvé
une partie du groupe des Ecossais à l'hôtel Hébron,
notre camp de base dans la vieille ville. Ils vont terminer leur séjour
dans la vallée du Jourdain où les exactions de l'armée
israélienne à l'encontre des Bédouins sont là
aussi nombreuses. Nous finirons la soirée en musique dans un
parc de Jérusalem, où des activistes israéliens
se retrouvent chaque dimanche pour jouer de la batucada avec le groupe
« Rythm of Resistance », présent dans de nombreux
pays. Tous les vendredis, ils participent en musique aux manifestations
hebdomadaires de Silwan, Sheikh Jarrah, Bilin... Ce sera l'occasion
pour nous de les interroger sur leur vision du conflit et leur positionnement
politique. Sharon, l'une des musiciennes, est sans concession : «
Depuis l'école, on nous rentre dans le crâne que les
Arabes sont des terroristes », affirme-t-elle. Militante, très
à gauche, elle a pourtant un père et un frère
d'extrême-droite, sionistes convaincus. Elle a échappé
au service militaire obligatoire, expliquant à l'armée
qu'elle serait ingérable si on la forçait à rejoindre
les rangs. « Je n'ai pas eu à faire de prison contrairement
aux « refuzniks » qui refusent de servir l'armée
pour des raisons politiques qu'ils assument pleinement et revendiquent.
Si c'était à refaire, je serai peut-être moi aussi
une refuznik, ajoute-t-elle, mais à l'époque, j'étais
trop jeune, j'ignorais tout cela ». A côté d'elle,
Ella est elle aussi une israélienne anti-colonialiste. Mais
ce soir, elle va rendre visite à sa mère qui vit...
dans la colonie de Maale Adumim. Ella comme Sharon reconnaissent qu'elles
représentent une infime minorité dans la société
israélienne. Le bombardement du Liban, puis de Gaza, et l'assaut
meurtrier contre la flottille de la Liberté ont-ils permis
une prise de conscience au sein de la société israélienne
? « Pas du tout, affirme Sharon, la propagande médiatique
est suffisamment bien huilée pour convaincre la majorité
des israéliens du bien-fondé de ces opérations
».
3 janvier
Une journée n'est pas de trop pour envoyer tous nos objets
et documents « compromettants » par la poste, graver le
contenu de nos cartes numériques d'appareils photos, effacer
tous les sms et contacts dans les téléphones, faire
disparaître toutes les données de l'ordinateur portable,
et mettre au point notre itinéraire touristique inventé
de trois semaines en Israël. Enjeu : passer la douane de l'aéroport
de tel Aviv, sans doute avec moult fouilles, mais sans révéler
notre voyage en Cisjordanie, pour conserver une chance de pouvoir
revenir...
VOIR
TOUTES LES PHOTOS DU VOYAGE
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