Leïla Shahshahani

journaliste indépendante

REPORTAGES 
NOEL EN CISJORDANIE, AUX COTES DE LA RESISTANCE PALESTINIENNE- 18 Décembre 2010 - 4 janvier 2011

Fin décembre 2010, un groupe de 70 Français a répondu à l'appel international de plusieurs organisations palestiniennes, en venant témoigner sa solidarité à l'occasion des fêtes de fin d'année. Je me suis joint à ce groupe, prolongeant mon séjour au-delà des dates de la stricte "mission". C'est la première fois que je retournais en Cisjordanie depuis mon voyage de l'été 2009. Ce périple fut une nouvelle fois source de nombreuses rencontres, de riches enseignements, et de profondes révoltes intérieures.

ATTERRISSAGE EN ISRAEL


18 décembre
L'espace d'un instant, nous avons cru franchir la douane de l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv comme de bons touristes. Nous avions tout misé sur le profil « bien sous tous rapports » de Jean-Christophe (Jisse), qui présenta son passeport le premier, pour tenter d'apaiser les soupçons. C'était sans compter sur les craintes qu'éveillent chaque fois mon nom iranien, et mon prénom arabe ! Et rebelote, même scénario qu'à l'été 2009 où j'avais attendu et été interrogée pendant 3 heures par une bonne demi-douzaine de policiers. Attente dans une petite salle avec d'autres passagers « louches » et confiscation des passeports. Surprise, cette fois-ci l'interrogatoire fut réservé à Jisse, et a été plutôt musclé, avec une petite dose de moqueries en tous genres. Heureusement, son alibi était au point : un voyage ornithologique en Israël, jumelles, appareil photo et documents à l'appui. J'ai bien cru que nous ne passerions pas, persuadée que pendant ce laps de temps les douaniers auraient tapé mon nom sur « google » et découvert tout un tas de liens sur la Palestine. Quelle surprise quand, après plus de 2 heures, on nous a finalement rendus nos passeports, tamponnés du visa. Pas si au point que ça les douanes israéliennes ! Ou serait-ce une technique pour mieux nous pister ? Jisse doit néanmoins signer une déclaration sur l'honneur l'engageant à ne pas se rendre dans les terrtoires palestiniens. Sans valeur juridique, cette déclaration vise à décourager les plus fébriles. Pour être plus crédibles, nous avions réservé une nuit d'auberge de jeunesse à Tel Aviv, comme font les vrais touristes routards qui débarquent, plutôt que filer directement vers Jérusalem, à une heure de route.

19 décembre
Nous avons profité de la journée du lendemain pour visiter le quartier du port de Jaffa, dont la grande majorité des Arabes ont été chassés en 1948. Aujourd'hui, le bord de mer est devenu branché et touristique. Un peu plus loin, à quelques blocs de notre auberge, le front de mer est envahi de grands hôtels de luxe : Carlton, Sheraton, ils y sont tous. Les surfeurs cherchent le bonne vague et les joggeurs arpentent la plage. Il souffle comme un air de liberté. Il serait si simple d'oublier qu'à quelques dizaines de kilomètres à l'est, un mur enferme les Palestiniens de Cisjordanie et qu'un peu plus au sud, à Gaza, on vit dans une prison à ciel ouvert. Tout semble si normal. Impossible ici de boycotter les produits israéliens, et nous dérogeons à la règle à contre-cœur. Dans l'auberge de jeunesse, une carte de la région est accrochée au mur de l'entrée. Les territoires palestiniens sont gommés, et Israël englobe la totalité du territoire jusqu'au Jourdain ; Gaza fait aussi partie d'Israël. Envolées les frontières de 1967 censées définir les pourtours du futur Etat palestinien, pourtant déjà bien morcelé. Le soir, nous rejoignons Jérusalem en bus. Je retrouve avec un bonheur intense l'atmosphère mystique des ruelles sombres de la vielle ville endormie et la terrasse de la pension Hébron. C'est ici que se croisent la plupart des visiteurs en partance ou de retour de Cisjordanie
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20 décembre
Sur le toit de la pension, nous rencontrons Mick et Sofia, deux Ecossais engagés pour la cause palestinienne. En tout, ils sont une dizaine d'Ecossais à avoir fait le voyage. Comme nous, ils ont répondu à l'appel de plusieurs organisations et associations palestiniennes de venir fêter Noël de façon solidaire, en affichant publiquement notre soutien à leur combat pacifique contre l'occupation, pendant la semaine du 22 au 27 décembre. En Ecosse, Mick Napier est l'un des leaders du mouvement de défense des droits des Palestiniens. Il a comparu devant les tribunaux, accusé d'anti-sémitisme pour avoir osé critiquer la politique de l'état d'Israël en perturbant une pièce de théâtre donnée par une compagnie israélienne pendant le festival d'Edimbourg. Toutes les charges retenues contre lui ont été jugées irrecevables. En attendant de retrouver le reste du groupe demain soir , nous profitons de la journée pour arpenter la vielle ville, toujours aussi fascinante, envahie de pèlerins venus du monde entier visiter ses lieux saints : le Saint-Sépulcre, le mur des Lamentations... Lors d'une balade sur les toits de la ville, nous découvrons avec stupeur que des groupes de jeunes touristes juifs américains sont escortés d'un garde en civil armé d'un grand fusil. Je questionne l'un deux : « Pourquoi portez-vous cette arme ? ». « C'est pour nous défendre des Arabes qui pourraient nous attaquer », me répond-il. La propagande a bien fait son travail : tout Arabe est un terroriste potentiel. Quel contraste avec notre ressenti : partout, les Palestiniens nous réservent un accueil chaleureux. Quelques rues plus loin, dans le quartier « juif » de la vieille ville, au contraire, nous sentons un climat plus austère et pesant. Ce soir, nous avons goûté de sublimes pizzas au feu de bois dans un boui-boui palestinien. Nous avons discuté avec un client, lui aussi Palestinien. Après quelques échanges, nous l'avons interrogé pour connaître son sentiment sur le conflit. « Etes-vous optimiste ? » lui ai-je demandé. « Honnêtement ?... Non. Je l'étais au début des années 90, mais maintenant, avec le gouvernement en place, je n'y crois plus », raconte-t-il. « Avant, les Juifs venaient aussi manger des pizzas ici, maintenant on ne les voit plus », nous dit-il avec regret.

LA COLONISATION DE JERUSALEM

21 décembre
Ce matin, nous avons retrouvé les personnes de notre groupe dans un couvent à l'extérieur de la vieille ville. C'est là que nous logerons pour les trois prochaines nuits. Beaucoup de participants sont épuisés après une ou plusieurs nuits dans les aéroports à cause des retards dus aux récentes chutes de neige. A cause surtout du stress du passage de la douane, que certains ont durement éprouvé moyennant 7h d'interrogatoire (profil arabe oblige ). Olivia Zemor, Présidente d'Europalestine et coordinatrice du voyage au niveau français, a été arrêtée à la douane et expulsée en France après de longues heures en détention (lire son récit complet). Ce soir, plusieurs autres ne sont pas encore arrivés comme prévu et nous croisons les doigts pour qu'ils n'aient pas été refoulés. Une autre amie de Grenoble nous a rejoint, après avoir elle aussi subi un bon interrogatoire et l'obligation de signer la déclaration certifiant qu'elle ne se rendrait pas dans les Territoires occupés. Pour nous tous, mentir est difficile et renverse les rôles. Nous devenons des personnes qui ont quelque chose a cacher, alors que le droit est de notre côté, l'occupation des territoires étant illégale au regard du droit international.

Aujourd'hui, nous avons visité différents quartiers de Jérusalem en compagnie de Jeff Halper, directeur et fondateur de l'ICAHD (Israeli committee against house demolitions), une organisation israélienne créée en 1997 pour résister à l'expulsion des Palestiniens et à la destruction de leurs maisons. Avec l'aide de nombreux volontaires israéliens, palestiniens et internationaux venus des quatre coins du monde, ICAHD aide à rebâtir des maisons détruites par les bulldozers israéliens. « Il ne s'agit pas de notre part de faire une action humanitaire mais un acte politique », insiste Jeff Halper. Dans le quartier d'Anata, situé à quelques kilomètres de Jérusalem et encerclé par le mur, nous visitons la maison de la famille Shawamreh, détruite à quatre reprises entre 1998 et 2003. Baptisée « Centre de paix », elle est aujourd'hui devenue un lieu d'accueil pour les visiteurs étrangers. Salim, le père de famille, nous raconte son parcours kafkaïen pour tenter d'obtenir un permis de construire, systématiquement refusé aux Palestiniens pour des raisons toutes aussi absurdes les unes que les autres. Au final, les Palestiniens doivent se résoudre à quitter leur terre, ou à construire en enfreignant la loi israélienne. Aujourd'hui, plus de 15 000 maisons à Jérusalem ont reçu un ordre de démolition, faisant peser une véritable épée de Damoclès sur des milliers de familles palestiniennes. Les enfants et la femme de Salim ont été traumatisés par les démolitions successives de leur maison, accomplies dans la violence.

Nous rencontrons les Palestiniens du « Bustan Committee » dans le quartier arabe de Silwan, dans la partie est de Jérusalem. Ils nous reçoivent sous une tente, menacée de destruction. Eux aussi résistent au quotidien contre la réquisition de leurs maisons. Une soixantaine est déjà passée aux mains des colons, et 88 sont sous le coup d'un ordre de démolition. A l'oeil, une implantation de colons se reconnaît à son drapeau israélien planté au-dessus de l'habitat, et aux boîtes aux lettres devant la maison. Le prétexte religieux (il y a 2000 ans, cette terre appartenait aux juifs et leur revient) est utilisé à des fins politiques : l'expansion du territoire de l'Etat hébreux. Les Palestiniens de Silwan, dont certains sont là depuis de multiples générations, ont proposé à la municipalité de Jérusalem de créer un jardin autour de leurs maisons, dans lequel les Juifs pourraient venir se promener sur ce lieu chargé de sens. « La municipalité a refusé toutes nos offres », raconte l'un d'eux. « Ce qu'elle veut, c'est que nous quittions les lieux ». Régulièrement, des enfants et adolescents palestiniens sont enfermés, parfois plusieurs mois, pour avoir jeté des cailloux. « Nous avons préparé des chaînes pour nous attacher à nos maisons s'il le faut, et même nos linceuls », conclut l'un d'eux.

Le refus de tout permis de construire aux Palestiniens entraîne une baisse du nombre de logement disponibles, beaucoup craignant de voir leur maison démolie avant même d'avoir pu y vivre. La pression foncière fait donc monter les prix et oblige de nombreux Palestiniens à quitter Jérusalem pour aller se loger plus loin en périphérie. « Lorsqu'un Palestinien quitte la ville, il perd automatiquement son statut de résident israélien et ne peut plus revenir y vivre ni même y travailler », explique Jeff Halper. C'est une technique de plus pour éloigner les Palestiniens de Jérusalem.

Nous faisons une halte au pied du mur dans le quartier arabe de Jérusalem est. Ici, le mur montre son absurdité dans toute sa splendeur. Il ne sépare pas les Israéliens des Palestiniens mais séparent les Palestiniens entre eux, contribuant à leur isolement. « Les raisons sécuritaires pour la construction de ce mur sont un prétexte », explique Jeff Halper. « Sa véritable raison d'être est l'annexion continue de terres palestiniennes ». Nous découvrons aussi un nouveau type de mur qui sépare une route en deux dans sa longueur. Les Israéliens roulent d'un côté de ce mur, les Arabes de l'autre. « Même les Sud-africains n'avaient pas pensé à séparer les conducteurs », ironise Jeff Halper. Ce mur n'existait pas lors de mon voyage en août 2009, il vient de sortir de terre.

Nous faisons un petit tour dans la vaste colonie de Maale Adumin, située en Cisjordanie non loin de Jérusalem. Son extension en direction de Jérusalem va sectionner encore davantage ce qu'il reste des Territoires palestiniens. Tout alentour est désertique, mais ici, tout est vert et fleuri ; il y a quatre piscines de taille olympique et un parc aquatique est en construction. Il sera baptisé « Parc de France », en remerciement à ses financeurs français. A quelques kilomètres de là, les Palestiniens sont rationnés en eau, sur leur propre territoire. « La plupart des Israéliens vivant ici n'ont pas conscience d'être des colons », explique Jeff Helper. Le gouvernement les a encouragés à s'y installer à coup de fortes aides financières. A la différence des colons extrémistes d'Hébron, motivés par des considérations idéologiques et religieuses, ceux-là recherchent juste un meilleur cadre de vie ». Ainsi progresse la colonisation. Jeff nous explique que les mots « colons », « colonies » ou « occupation » ne font pas partie du vocabulaire hébreux. On parle de « résidents des communautés de Judée et Samarie ». On mentionne aussi des voisins « arabes », perçus comme une menace, mais en aucun cas des « Palestiniens ». Les nommer, c'est reconnaître leur existence...

ENTREE DANS LE VIF DU SUJET

22 décembre
Pour rencontrer nos hôtes palestiniens, organisateurs du programme de la semaine, nous avons dû passer de l'autre côté du mur, en Cisjordanie, beaucoup d'entre eux étant interdits d'entrer à Jérusalem. Dans une salle de l'auberge de jeunesse (YMCA) de Beit Sahour, un petit village proche de Bethléem, ils nous ont présenté les grandes lignes du programme des jours à venir. Les militants de l'organisation Chrétiens bâtisseurs de paix (Christian peacemaker teams), de diverses nationalités, étaient là aussi, pour nous parler de leur travail sur place. Leur objectif est de soutenir les Palestiniens dans leur combat pacifique et de faire connaître ce combat dans leur pays d'origine respectifs. Ils présentent les consignes du « manuel du militant non-violent », que beaucoup d'entre nous commencent à connaître un peu. L'essentiel est de garder en tête que nous sommes là pour les Palestiniens, et que nous devons agir en fonction de ce qu'ils estiment utile. Se rappeler aussi que le seul risque que nous courrons, en tant qu'étrangers, c'est l'expulsion avec interdiction de retour sur le territoire (au pire une brève arrestation). Eux (et leurs familles) risquent un emprisonnement à durée indéterminée, et un harcèlement quotidien de la part de la police, que la plupart, déjà connus des services de « sécurité » israéliens, subissent déjà au quotidien. Pour autant, nous sommes là pour manifester notre mécontentement et condamner la politique d'Israël, c'est aussi ce qu'attendant de nous les Palestiniens. Difficile de trouver le juste équilibre.

Le retour à Jérusalem fut plus compliqué que la sortie matinale. Sur les deux bus, l'un d'entre eux, dans lequel nous nous trouvions, a été arrêté au checkpoint. Le règne de l'arbitraire. Nous avons dû en descendre et traverser le poste à pied, en franchissant ces sordides tourniquets avec d'autres Palestiniens, dont c'est le sort quotidien. Le tout a duré environ une heure. Et toujours cette même sensation d'être une vulgaire pièce de bétail...

En début d'après-midi, nous avons été accueillis dans la cour extérieure du siège de la Croix Rouge de Jérusalem. Là, nous avons rencontré des parlementaires palestiniens élus lors des élections législatives de 2006, reconnues transparentes et démocratiques par tous les observateurs internationaux. Ils sont réfugiés ici, sous l'égide de la Croix Rouge, depuis 175 jours, menacés d'expulsion par Israël pour avoir manqué de loyauté envers l'Etat hébreux. Ces hommes-là, bien qu'élus dans leur municipalité de Jérusalem est, ont été emprisonnés à la suite des élections, pendant trois ans et demie. Le même sort à été réservé à 45 députés et 20 membres du gouvernement palestinien. Raison réelle de leur mise au ban : leur appartenance au parti « changement et réforme », rattaché au Hamas, pourtant entré dans le jeu politique institutionnel depuis 2006. Pour la Croix Rouge, qui leur fourni des chambres, la situation est inédite, d'autant plus que la neutralité fait partie des principes fondamentaux de cette institution. Les trois hommes se sont réfugiés ici un mois après l'assaut meurtrier d'Israël sur la flottille humanitaire en route pour Gaza. « L'armée israélienne pourrait venir nous arrêter ici, mais après le drame de la flottille, elle se passerait sans doujte volontiers d'un autre scandale », explique Muhammad M. Abu Tier, l'un des parlementaires. « Notre seul ennemi est l'occupation, en aucun cas les autres religions, avec lesquelles nous pouvons cohabiter », ajoute-t-il. « le Président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dit qu'il ferait son possible pour éviter notre déportation, mais pour le moment, les choses n'ont guère évolué », conclut-il.

Nous nous rendons ensuite dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah où, comme à Silwan, les expulsions de maisons vont bon train, au profit des colons juifs. Nous rencontrons une famille forcée de vivre dans un bâtiment inachevé, totalement délabré, dans des conditions déplorables. 33 familles vivent ici dans les mêmes conditions. Leurs maisons d'origine, autrefois située à l'intérieur des frontières de Jérusalem, a été classée en dehors de la zone de la municipalité. En y restant, les membres de ces familles auraient perdu leur carte de résident de Jérusalem (la fameuse « blue card ») et donc, le droit de pouvoir y travailler.
Nous concluons la journée devant la célèbre porte de Damas, une des entrées de la vieille ville, où nos hôtes palestiniens souhaitaient organiser un rassemblement aux chandelles. Seul problème : en l'absence de tout drapeau ou slogan, notre présence pouvait paraître quelque peu incongrue... Une partie du groupe, soucieux de faire passer le message, a entonné une série de slogans, « Free palestine » etc. Ce qui nous valut le débarquement de policiers et l'interdiction de nous rendre dans la vieille ville où nous étions attendus au « centre africain » pour un spectacle de danses traditionnelles. En catimini, se fondant dans la masse des touristes, une dizaine de personnes du groupe ont réussi à s'y rendre.
Ce soir, nous apprenons l'arrestation de Mazin Qumsiyeh, responsable du YMCA où nous nous étions réunis le matin même à Beit Sahour. Nous apprendrons par la suite que sept autres Palestiniens ont été arrêtés avec lui, tous leaders du mouvement de la résistance populaire non-violente, notamment dans le village de Al Walaja. Ils ont été libérés le lendemain.

23 décembre
Nous commençons la journée par la visite d'une école dans le camp de réfugiés de Shu'Afat, placé sous l'égide de l'agence des Nations Unies UNRWA. Ce camp héberge 4000 personnes, en faisant une des zones les plus densément peuplée de Jérusalem. Sa particularité tient à l'invraisemblable complexité de son statut, totalement hybride. « Un monstre juridique » comme la décrivent certains. Bien que situé à l'intérieur de l'enceinte de Jérusalem en terme juridique, Israël a décrété que ce camp était en Cisjordanie. Les habitants sont donc porteurs de la carte de résidents de Jérusalem, mais doivent franchir un checkpoint et le mur pour accéder au camp. Israël reconnaît théoriquement ses habitants, qui sont pourtant des réfugiés. Les moyens mis à disposition de l'école restent sont très basiques.
En arrivant à l'école, nous rencontrons un Palestinien dont la soeur est décédée et qui ne peut se rendre à ses obsèques, les soldats israéliens ne l'autoriant pas à franchir le checkpoint. Certains d'entre nous veulent tenter de l'aider à traverser le checkpoint, mais une partie de la famille du Palestinien s'oppose à cette intervention "extérieure", pour des raisons sans doute complexes que nous ignorons. Cette histoire est d'une affligeante banalité dans le quotidien des Palestiniens.

Nous visitons ensuite le petit village de Nabi Samuel où les conditions de vie sont rendues pratiquement impossibles pour faire partir les Palestiniens qui y vivent encore. Nous visitons aussi un étrange bâtiment dans lequel mosquée et synagogue cohabitent dans la même enceinte. Une cohabitation rendue parfois difficile par le comportement peu respecteux de certains juifs, comme nous avons pu le constater lors de notre passage. Sans doute uen façon de plus de tenter de décourager les Palestiniens de s'éterniser ici...

Sur le chemin du retour, nous faisons une halte au village en ruines de Lifta, évacué par la force des armes par les soldats israéliens en 1948. Nous rencontrons des femmes qui étaient de petites filles lorsque le village fut vidé de ses habitants palestiniens.

Ce soir, un petit groupe d'entre nous est retourné dans le quartier de Sheikh Jarrah où trois familles ont été expulsées de leurs maisons depuis août 2009. La scène est surréaliste, car une partie de leur maison est maintenant en partie habitée par une famille de colons juifs.

A BAS LE MUR

Vendredi 24 décembre
Notre groupe a quitté Jérusalem au petit matin pour rejoindre la manifestation pacifique hebdomadaire du village de Al Waladja, dans les environs de Bethléem, aux côtés d'autres internationaux, de Palestiniens et d'Israéliens anti-colonialistes. La police était au courant de notre présence et a installé des checkpoints volants. Grâce à la réactivité des organisateurs palestiniens, nous avons réussi à contourner les contrôles en passant par des petites routes. Nous avons finalement rejoint le départ du cortège de la manifestation, comptant environ 150 à 200 participants. Celle-ci s'est déroulée dans le calme, a franchi la tranchée délimitant le tracé du mur en construction, et a ensuite longé le futur tracé du mur. De nombreux slogans ont été chantés pour protester contre la construction de ce mur illégal, accompagnés de plusieurs discours, dont celui du maire du village et de Shirin, une palestinienne résidente d'Al Waladja engagée dans le mouvement de résistance non-violente. L'armée israélienne n'a pas fait de démonstration de force, contrairement à ce qui s'est passé dans le village de Bilin le même jour. La manifestation s'est dispersée dans le calme.

Nous avons ensuite rejoint Bethléem et investi la place de la Nativité, vêtus de chasubles jaunes fluo "Free Palestine", distribuant des cartes de Noël "spécial Palestine" a des centaines de pèlerins du monde entier. Un peu plus tard, nous avons entendu un membre de l'unité de négociation" de l'OLP a propos de la situation actuelle : "Depuis la mise en place de checkpoints, de très nombreux pèlerins ne peuvent plus venir célébrer Noël a Bethléem (...) Ici comme ailleurs en Palestine, Israël mène une stratégie de suffocation et d'asphyxie du peuple palestinien, pour l'encourager a fuir son propre pays. Avec le soit-disant "processus de paix", la population des colons est passée de 200 000 a 500 000", constate-t-il.

Le soir, nous avons été accueillis dans le camp de réfugiés d'Aida, proche de Bethléem. Nous y avons passe la nuit, la plus grande partie des personnes étant logées dans des familles du camp. 5000 personnes vivent ici, dont 66% ont moins de 18 ans. Depuis 2005, le camp est encercle par le mur. La troupe d'artistes d'Al-Rowwad tente de redonner espoir aux réfugiés du camp, l'un des trois camps de la municipalité de Bethléem.

 

 

 

 


ARRESTATIONS A HEBRON

Samedi 25 décembre
En début d'après-midi, nous avons rejoint le cortège de la manifestation pacifique hebdomadaire organisée par les Palestiniens pour protester contre la colonisation de la ville et leur impossibilité de s'y déplacer librement.
A deux reprises les manifestants ont été bloqués dans les rues de la vieille ville par l'armée israélienne et repoussés violemment. La deuxieme fois, dans les ruelles étroites, un Ecossais a été frappé et arrêté ainsi qu'une militante israélienne et un Francais de notre groupe. Avec une délégation de cinq Francais et la délégation des Britanniques, nous sommes restés quelques heures à Hébron en attendant des nouvelles de nos deux camarades. De retour a Bethléem dans la soirée, nous avons appris leur libération. Ils devraient nous rejoindre d'ici peu.

Plus tôt dans la matinée, nous avons visité la vieille ville d'Hébron. C'est la plus grande ville de Cisjordanie, avec 250 000 habitants. Elle incarne l'horreur de la colonisation dans toute sa splendeur. Partout où des colons s'emparent d'habitations, jusqu'au coeur même de la vieille ville, les magasins et logements arabes alentour ferment les uns après les autres en raison du harcèlement des colons, qui se baladent armés en pleine ville. Tout cela avec la bénédiction des soldats israéliens qui leur offrent leurs services de "protection" à grand renfort de miradors, barbelés et caméras de surveillance. Les rues centrales du marché prennent une allure de champ de guerre. De grands filets ont été tendus au-dessus des vieilles échoppes survivantes afin de récolter les ordures et pavés jetés par les colons qui ont investi les habitations situées aux étages supérieurs. Sur les toits des maisons palestiniennes, les citernes destinées à stocker l'eau sont percées par des tirs de balle. Ce qui fut autrefois l'une des artères les plus importantes de Cisjordanie a été entièrement confisquée par les colons juifs. Depuis des années, les commerces et habitations sont laissés à l'abandon et le visiteur découvre une veritable ville fantôme en s'y promenant. Vision d'horreur : sur les portes des bâtiments arabes désertés, des étoiles juives ont été dessinées par l'occupant juif... Ca ne vous rappelle rien ? Ce sombre tableau est complété par les va-et -viens de jeunes colons arpentant la rue, fusils en bandoulière. Ici, les Arabes sont interdits d'accès. Notre guide, Issa, à peine entré dans le quartier, n'a pas échappé a la surveillance des soldats qui lui ont donné l'ordre de faire marche arrière, en l'escortant jusqu'a l'entrée.

Au total, 43% des Palestiniens habitant la vieille ville ont dû quitter leurs logements. 1800 boutiques ont été fermées et 1500 habitations désertées. 600 colons ont pris place dans la vieille ville, protégés par environ 2000 soldats.

"Les habitants de Tel Aviv se disent pour la plupart opposés à la colonisation d'Hébron. Pourtant, les Israéliens ont élu ce gouvernement à une large majorité. Tant qu'ils ne mettront pas la pression sur leur gouvernement pour qu'il cesse cette politique, je les tiendrai pour responsables de ce qui nous arrive. J'ai de nombreux ami israéliens qui militent contre la politique de leur gouvernement, mais ils sont malheureusement très minoritaires en Israël", déplore Issa, notre guide palestinien.

 

NEUF FRANÇAIS ET UN PALESTINIEN ARRETES

Dimanche 26 décembre
Nous avons quitté le camp d'Aida ce matin et nous sommes rendus au checkpoint de Kalandia (Ramallah), célèbre goulet d'étranglement entre la Cisjordanie et Jérusalem, où nous avons manifesté, revêtus de nos gilets « Free Palestine », en compagnie de Palestiniens du mouvement de la résistance populaire. Les manifestants pacifiques n'ont cessé de scander leurs slogans face aux soldats, leur rappelant les violations constantes du droit international par Israël. Les soldats ont arrêtés brutalement un Palestinien et neuf Français.

BILIN : LES MANIFESTANTS GAZES POUR AVOIR PLANTE DES OLIVIERS

Dimanche 26 décembre
Alors que neuf Français sont encore détenus dans un poste de police israélien (le Palestinien a été libéré), possiblement en attente d'être expulsés vers la France, le reste du groupe a rejoint cet après-midi le petit village de Bilin, haut lieu de la résistance non violente en Cisjordanie. En plus de la manifestation hebdomadaire du vendredi, un cortège a été organisé ce dimanche pour protester contre l'annexion de terres palestiniennes par le mur, matérialisé dans ce village par des hautes barrières barbelées. Objectif de la manifestation : mettre en terre 200 plans d'oliviers aux abords du mur. Connus pour avoir la gâchette facile, les soldats israéliens n'ont pas trahi leur réputation. Alors que des manifestants plantaient un olivier au pied des barbelés, des bombes sonores ont été lancées dans leur direction. Peu après, des tirs de grenades lacrymogènes ont rayé le ciel en tous sens, obligeant les manifestants à battre en retraite.
Réunis après la manifestation, nous avons entendu un représentant du Fatah, présent sur place, sur la situation actuelle en Palestine. « Depuis 19 ans, l'Autorité palestinienne a voulu croire au « processus de paix » avec Israël. Aujourd'hui, nous ne croyons plus à ce soit-disant processus pour apporter une solution aux Palestiniens. Pendant tout ce temps, Israël a poursuivi la construction des colonies et l'occupation, nous enfermant dans de véritables ghettos. Par ma présence ici ce soir, je voudrais vous signifier le soutien de mon parti au mouvement de la résistance populaire ». Interrogé sur la relation du Fatah avec le Hamas, il poursuit : « Avec le Hamas, nous combattons le même ennemi mais avons des méthodes différentes. Nous croyons à l'importance du droit international et nous opposons à prendre des civils pour cible. Israël fait tout son possible pour nous diviser, mais nous nous réunirons très prochainement ».
Ce soir, nous sommes accueillis par les familles palestiniennes de Bilin, où nous passeront la nuit. Demain matin, nous partirons en direction de Naplouse, pour le dernier jour officiel de cette semaine de rencontres avec les Palestiniens.

A propos des Français arrêtés :
Trois d'entre eux avaient déjà passé la nuit hors de la prison. L'une de ces militantes, Saloua, qui avait reçu de sévères coups lors de son arrestation, a été conduite à l'hôpital ce lundi matin , où elle a été placée sous perfusion en raison d'une tension très basse. Selon une communication de leur avocat ce matin, ils devraient être libérés prochainement. Contrairement à ce qui a été annoncé par le gouvernement israélien, aucune pierre n'a jamais été lancée par les manifestants.
Nous prenons maintenant la route pour une autre manifestation, aux abords d'une colonie.


L’ARMEE SOUTIENT LES CRIMES DES COLONS ET TIRE SUR LES MANIFESTANTS PACIFIQUES

Lundi 27 décembre
Le matin, nous avons fait une brève escale à Naplouse (visite de l'université et de la vieille ville et accueil par le maire, historique du siège enduré par l'armée israélienne pendant la période de l'intifada...). Pris par le temps, nous avons dû abréger notre halte pour rejoindre directement un cortège de manifestants palestiniens nous attendant au village de Beitin.
En temps normal, ce village se trouve à cinq minutes en voiture de Ramallah. Mais depuis quelques temps, les colons installés à proximité ont barré la route à l'aide de gros blocs de pierre, gravas et matériaux en tous genres, dans le seul but d'entraver la circulation des Palestiniens. Les villageois doivent désormais utiliser une autre route de contournement, mettant une demi-heure pour rejoindre Ramallah (route que nous avons nous-même emprunté pour parvenir au village). A plusieurs reprises, les villageois de Beitin ont tenté de déplacer les pierres bloquant la route. Chaque fois, ils ont été agressés par les colons, doigts sur la gâchette. Ils nous ont donc sollicités pour les aider, comptant sur la présence d'internationaux pour calmer l'agressivité des colons.

Lorsque nous sommes arrivés sur place vers 16 heures, nous avons été accueillis par une petite centaine de Palestiniens, certains venus d'autres villages pour apporter leur soutien à cette manifestation. Rapidement, le cortège s'est mis en route. En moins de cinq minutes, nous sommes arrivés au niveau des premiers gros blocs posés au milieu de la route. Devant eux, un cordon de soldats nous barrait la route, pour nous empêcher de déplacer ces blocs. Nous avons tenté de les contourner par la droite dans un champ, descendant en direction d'un second barrage de pierres au milieu de la route. Derrière, Ramallah, si proche.

Là encore, des soldats nous attendaient, mains sur le fusil. Nous nous sommes avancés tranquillement dans leur direction, pacifiquement, drapeaux palestiniens en main, pour manifester notre mécontentement. Quelques secondes plus tard, une, puis plusieurs bombes sonores ont été lancées au milieu des manifestants, commençant à éparpiller la foule. Presque simultanément, les tirs de gaz lacrymogènes ont fusé de toute part, tirés quasiment à hauteur d'hommes, augmentant le risque de blessures. Difficile de qualifier l'agressivité des soldats israéliens face à des manifestants seulement armés de leurs slogans. La foule des manifestants, incluant de nombreux enfants, a été asphyxiée à plusieurs reprises, coincée en sandwich entre plusieurs nuages de fumée toxique. Pendant une demi-heure, et alors que les manifestants avaient largement battu en retraite, les tirs se sont poursuivis, sur une très grande distance. Un tir de balle en caoutchouc a même été entendu alors que la foule s'était déjà dispersée hors de portée des soldats israéliens.


Notre groupe de Français a été psychologiquement secoué par cet épisode, obligés de constater avec impuissance l'inégalité des forces en jeu, et la complicité des soldats venus couvrir de manière inconditionnelle les crimes des colons jusque dans leurs actes les plus racistes. Qu'on ne me parle plus de la « démocratie » d'Israël, qu'on ne me parle plus non plus du « processus de paix ». Il suffit de ses yeux pour constater que sur le terrain, le gouvernement n'a pas la moindre intention de stopper la colonisation. Pourquoi le ferait-il, puisque la communauté internationale n'a pas le courage de la moindre sanction à son égard ? Tel un enfant sans cadre, Israël franchit un à un les seuils de la cruauté. Combien de temps encore les Palestiniens tiendront-ils face à tant d'acharnement ? Profondément chamboulés, nous remontons dans nos bus à contre-coeur, tristes de devoir laisser les villageois de Beitin seuls face à tant d'injustice. La brutalité de l'armée israélienne et la folie des colons ne nous fera pas baisser les bras. Au contraire, elle renforce note détermination à poursuivre ce combat pour le respect du droit. Nos manifestations de ces derniers jours ont fait la une des journaux locaux et nationaux, et nous recevons de nombreuses marques de sympathies de la part des Palestiniens que nous rencontrons. Tous ont des histoires à nous raconter, des histoires qui font froid dans le dos.

Ce soir, la grande majorité de notre groupe repart vers Jérusalem, puis la France. Nous sommes une petite dizaine seulement à dormir à Naplouse, avant de rejoindre le camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie.

 

JENINE ET TULKAREM : BASTIONS DE LA RESISTANCE

Mardi 28 et mercredi 29 décembre
Notre groupe réduit à une petite dizaine s'est rendu mardi à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Du fait de sa situation excentrée, cette petite ville est un peu à l'écart des « circuits » des visiteurs en Palestine. A notre arrivée, nous avons été accueillis dans le centre Hakoura, à proximité de la ville. Depuis trois ans, ce centre aux bâtiments modernes fonctionne en partenariat avec la Guilde française qui le subventionne à hauteur de 70%. Il propose aux Palestiniens des cours d'anglais, de français et d'informatique, avec accès à des ordinateurs, et travaille aussi sur un volet tourisme et commerce solidaire. L'un des coordinateurs d'Hakoura nous emmène visiter le camp de réfugiés de Jénine où nous passerons aussi la nuit. Jénine fut notamment l'un des gros bastions de la résistance contre Israël lors de la deuxième intafada. A deux reprises, les résistants, retranchés dans le camp de réfugiés, ont réussi à repoussé l'occupant israélien. Cela leur valut le bombardement par les avions F16 puis l'assaut du camp avec l'artillerie lourde (tanks, snipers...) dans les premiers jours d'avril 2002. Le "massacre de Jénine" fit 53 victimes, en grande majorité des civils, et plusieurs centaines d'habitations furent entièrement détruites. De nombreux murs sont aujourd'hui encore criblés de balles. Comme toutes les familles du camp, celle qui nous accueille ce soir (palestino-algérienne) a vécu dans la peur ces jours dans la peur, terrée dans sa maison. Avant l'attaque, les enfants ont cru entendre des dinosaures aux portes du camp...c'était tout simplement les tanks israéliens.

16 000 habitants vivent aujourd'hui dans le camp de Jénine, sur une surface d'un kilomètre carré. La grand majorité a entre 13 et 30 ans. Depuis la construction du mur au début des années 2000, le taux de chômage bat des records (supérieur à 70%), les Palestiniens n'ayant pour la plupart pas obtenu le permis pour venir travailler en Israël, les conditions étant difficiles à remplir : être marié, avoir plus de 35 ans, avoir des enfants, et surtout, répondre aux critères de sécurité exigés, autant dire, être dépendant de l'arbitraire israélien. Comme les autres camps de réfugiés, celui-ci se trouve sous l'égide de l'agence des Nations Unies UNRWA, responsable de l'éducation et de la santé. Son programme alimentaire s'est réduit drastiquement depuis quelque temps. Le camp de Jénine s'est fait connaître grâce à son « Théâtre de la Liberté » créé par une Juive israélienne en 2006 pour offrir une porte de sortie et un espoir à des jeunes du camp, souvent atteint de traumatismes psychologiques. La troupe a été invitée pour une tournée en France, en Autriche et en Allemagne. La structure propose également des ateliers multimédia.
Une fois encore, l'accueil dans les familles est un grand moment de partage et une démonstration supplémentaire de l'hospitalité palestinienne.

Le lendemain, nous rejoignons le ville de Tulkarem, à l'ouest, et son camp de réfugiés. Salem, professeur d'anglais bénévole dans le centre d'accueil « Al Aouda », nous emmène dans les rues insalubres du camp. La densité de population est encore plus forte ici, avec 20 000 personnes vivant sur un kilomètre carré. C'est le deuxième plus gros camp de Cisjordanie après celui de Balata, à Naplouse. Ici aussi, la résistance contre l'occupant israélien a été tenace, avec les mêmes conséquences : plusieurs dizaines de tués parmi les civils du camp. Dans la rue, une femme nous invite dans sa maison pour boire le thé en compagnie de l'un de ses fils et de petits enfants. Comme dans les autres camps, les familles vivent dans la même crainte : être de nouveau chassés, comme en 1948, par les Israéliens. Sans espoir de revoir la terre de leur enfance, ces Palestiniens ont désormais créé de nouvelles attaches dans ces camps, où les tentes puis les bidonvilles ont fini par être remplacés par des habitats en dur, souvent très sommaires. « J'espère que les Juifs nous laisseront vivre ici et ne nous chasserons pas une seconde fois » dit la mère de famille. Au mur, le portrait d'un proche, condamné à 24 ans de prison en Israël pour avoir pris part à la résistance lors de la deuxième intafada à l'âge de 22 ans. Il fait partie de la longue liste des martyres tués ou emprisonnés par l'armée israélienne.

Hier soir, nous avons quitté avec nostalgie le reste du groupe, reparti en France. Jisse et moi poursuivons notre petit périple en Cisjordanie. Aujourd'hui, nous quittons Tulkarem pour rejoindre Ramallah puis Al-Masara, où nous devons retrouver Mahmoud, le maire du village. Demain, nous avons prévu de participer à ses côtés à la manifestation organisée ici aussi chaque vendredi pour protester contre le mur qui grignote chaque jour un peu plus les terres des Palestiniens.

MORT D’UNE PALESTINIENNE A BILIN

1er janvier 2011
De retour à Hébron le temps d'une nuit dans une famille et d'une balade dans la vieille ville, nous apprenons à l'instant la mort d'une Palestinienne lors de la manifestation hebdomadaire de Bilin hier. Elle serait décédée des suites d'inhalation des gaz lacrymogènes lancés hier sur les manifestants par les soldats israéliens. Elle avait été emmenée d'urgence à l'hôpital de Ramallah hier. La victime, Jawaher Abu Rahmah, est la soeur de Bassem Abu Rahmah, lui-même tué à Bilin lors de la manifestation du 17 avril 2009 durant laquelle il avait été frappé de plein fouet par une grenade lacrymogène.
Cette terrible nouvelle vient de nous être communiquée par Mahmoud Zwahre, membre du Comité populaire de la résistance à Al Masara, au côté duquel nous avons manifesté hier, essuyant nous aussi de nombreux tirs de bombes lacrymogènes. Le premier ministre palestinien Salaam Fayyad, avait rejoint le rang des manifestants de Bilin avec d'autres militants du Fatah, célébrant ce même jour la date anniversaire de la création de leur parti politique.

Pendant que les manifestants tentaient de briser le mur à Bilin, la mobilisation à Al'Masara à peiné à rassembler du monde, malgré un noyau dur de la résistance non-violente. Nous étions une grosse cinquantaine environ, avec une dizaine de Français. Pour autant, l'agressivité de l'armée israélienne est ici comme ailleurs.
Le mur ne passe pas encore à Al Masara mais les habitants ont été informés de sa future construction dans un courrier reçu fin 2006. Son tracé prévoit d'empiéter de 12 kilomètres sur les terres palestiniennes, à l'intérieur des frontières de 1967. Suite aux premières destructions de champs et arrachages d'arbres fin 2006, le Comité populaire a été créé à Al Masara, organisant les premières manifestations hebdomadaires pacifiques. Depuis un an, les travaux de construction du mur ont été suspendus, sans raison connue.

DERNIERS JOURS EN PALESTINE

1er janvier 2011
Après la manifestation d'Al Masara, nous sommes repartis en direction d'Hébron pour une dernière balade dans la vieille ville. Nous avons été hébergés par une famille via l'association France-Hébron, créée en 1997 par des francophones et Français résidant sur place, et visiblement bien connue localement. Outre le placement dans des familles d'accueil, des cours de français et activités culturelles, l'association propose des visites guidées dans la vieille ville, avec un éclairage sur le contexte politique (infos sur www.hebron-france.org). Nous avons passé la dernière soirée de l'année dans un café autour d'un narguilé, discutant avec notre hôte Rachid et son cousin Basel, prof d'économie pendant plusieurs années à Aix-en-Provence. Sa vision du « conflit » est intéressante. Comme pour beaucoup de Palestiniens rencontrés, les accords d'Oslo, présentés à l'extérieur comme un pas en avant vers la paix, ont causé beaucoup de tort à leur cause. Ils ont contribué à les diviser, instaurant notamment les zones A, B et C en Cisjordanie, la zone C, la plus importante, instaurant un contrôle israélien total sur les populations. Il déplore aussi les distinctions de statut des Palestiniens, en fonction de leurs zones géographiques : les Jérusalémites, les réfugiés de 48, les Palestiniens de Cisjordanie ou encore les Gazaouis. Pour lui, ces divisions ne font qu'affaiblir les revendications des Palestiniens, les enfermant dans des problématiques particulières tendant à faire oublier la cause globale du problème : l'occupation israélienne. A propos de la résistance, il craint une certaine résignation des Palestiniens, finissant par accepter leur sort actuel, jugé finalement « correct » comparé aux violences extrêmes perpétrées par l'armée israélienne pendant les périodes d'intifada. Comparé aussi à la situation des Palestiniens de Gaza. Se disant que, finalement, « ça pourrait être pire ».

De retour dans le camp d'Aida à Béthleem, nous avons cependant pris le pouls d'une forte résistance, bel et bien active. Pour cette deuxième visite, nous y avons été reçus par les salariés et bénévoles du Lajee Center, fondé en 2000 grâce à la motivation de plusieurs jeunes et à quelques dons de particuliers étrangers. Aujourd'hui, le centre tourne avec plusieurs employés et propose de nombreuses activités aux jeunes et familles du camp d'Aida : activités culturelles (danse, musique), ateliers multimédia, expositions photos et projections de films, salle d'ordinateurs... « Depuis les accords d'Oslo, rien n'a changé pour les réfugiés, c'est à nous de faire avancer les choses » explique Salah, directeur du centre. Salah insiste sur le fait que le centre fonctionne en dehors de toute influence politique, et n'hésite pas à refuser les propositions de financements « sous conditions », comme celles de l'organisation US-AID notamment. De même, le centre refuse de collaborer avec les associations israéliennes, même anti-colonialistes, qui ne reconnaissent pas le « droit au retour » des réfugiés palestiniens comme principe de base. Le Lajee center travaille en collaboration avec l'association Zochrot, basée à Tel Aviv, apparemment seule à reconnaître ce droit. « Il est possible voire probable que bon nombre de réfugiés choisiraient de rester dans leurs pays d'exil, voire même dans les camps où ils ont désormais construit leurs maisons, mais c'est à eux seuls d'en décider. Le droit au retour n'est pas négociable », explique la soeur de Salah, qui travaille elle aussi au centre.
De même, poursuit Salah, le Lajee center refuse les opérations purement cosmétiques ou marketing : « Certaines organisations à l'étranger nous proposent des tournées figurant Israéliens et Palestiniens sur une même scène, comme pour donner l'illusion d'une entente. Mais cela ne reflète pas la réalité; Sur le terrain, les Palestiniens subissent l'occupation au quotidien. Une autre fois, nous avons été invités à nous produire lors dun' festival en Belgique. Lorsque nous avons demandé quel était le but de notre venue, on nous a répondu : « C'est pour que vous passiez un bon moment ». Mais nous ne sommes pas là pour ça, nous avons un message politique à faire passer ». Le centre Lajee propose des activités à plus de 800 enfants par an. De nombreux volontaires internationaux viennent y travailler chaque année, offrant leurs compétences variées.

Nous passons la nuit dans la famille de Mohammad, salarié du centre Lajee après de longues années de volontariat, aujourd'hui spécialisé dans la photographie. Nous retrouvons aussi John, l'Ecossais arrêté lors de la manifestation à Hébron qui lui a valu une fracture à la main. Avec une Française de notre groupe encore sur place, il a participé à la manifestation de Bilin de vendredi au cours de laquelle une Palestinienne a été tuée. Son témoignage fait froid dans le dos. Il raconte l'intensité des tirs de grenades lacrymogènes, à tous les niveaux du cortège de la manifestation, visant directement les personnes. Une grenade est passée à quelques centimètres de la tête de la Française. Pourtant habitué à essuyer ces gaz, John en ressent encore l'effet le lendemain.

2 janvier 2011

Le matin, nous nous joignons à un groupe d'Américains pour une visite guidée dans les rues du camp d'Aida, très affecté lui aussi par l'invasion de l'armée israélienne lors de la deuxième intifada. 27 personnes y ont trouvé la mort, en grande majorité des civils. Aujourd'hui, le mur encercle le camp sur plusieurs côtés. Comme dans les autres camps, les services sont réduits au strict minimum et les rues sont insalubres. La rationnement en eau, réquisitionnée par les israéliens, est en vigueur. A quelques pas de là, l'hôtel Inter-Continental de Bethléem remplit sa piscine pour ses hôtes, avec plusieurs suites de luxe « offrant » une vue directe sur le camp.

Dans l'après-midi, nous avons ensuite regagné Jérusalem, le coeur serré de quitter si vite la Cisjordanie et ses habitants, si chaleureux. Nous reviendrons. Hier soir, nous avons retrouvé une partie du groupe des Ecossais à l'hôtel Hébron, notre camp de base dans la vieille ville. Ils vont terminer leur séjour dans la vallée du Jourdain où les exactions de l'armée israélienne à l'encontre des Bédouins sont là aussi nombreuses. Nous finirons la soirée en musique dans un parc de Jérusalem, où des activistes israéliens se retrouvent chaque dimanche pour jouer de la batucada avec le groupe « Rythm of Resistance », présent dans de nombreux pays. Tous les vendredis, ils participent en musique aux manifestations hebdomadaires de Silwan, Sheikh Jarrah, Bilin... Ce sera l'occasion pour nous de les interroger sur leur vision du conflit et leur positionnement politique. Sharon, l'une des musiciennes, est sans concession : « Depuis l'école, on nous rentre dans le crâne que les Arabes sont des terroristes », affirme-t-elle. Militante, très à gauche, elle a pourtant un père et un frère d'extrême-droite, sionistes convaincus. Elle a échappé au service militaire obligatoire, expliquant à l'armée qu'elle serait ingérable si on la forçait à rejoindre les rangs. « Je n'ai pas eu à faire de prison contrairement aux « refuzniks » qui refusent de servir l'armée pour des raisons politiques qu'ils assument pleinement et revendiquent. Si c'était à refaire, je serai peut-être moi aussi une refuznik, ajoute-t-elle, mais à l'époque, j'étais trop jeune, j'ignorais tout cela ». A côté d'elle, Ella est elle aussi une israélienne anti-colonialiste. Mais ce soir, elle va rendre visite à sa mère qui vit... dans la colonie de Maale Adumim. Ella comme Sharon reconnaissent qu'elles représentent une infime minorité dans la société israélienne. Le bombardement du Liban, puis de Gaza, et l'assaut meurtrier contre la flottille de la Liberté ont-ils permis une prise de conscience au sein de la société israélienne ? « Pas du tout, affirme Sharon, la propagande médiatique est suffisamment bien huilée pour convaincre la majorité des israéliens du bien-fondé de ces opérations ».

3 janvier
Une journée n'est pas de trop pour envoyer tous nos objets et documents « compromettants » par la poste, graver le contenu de nos cartes numériques d'appareils photos, effacer tous les sms et contacts dans les téléphones, faire disparaître toutes les données de l'ordinateur portable, et mettre au point notre itinéraire touristique inventé de trois semaines en Israël. Enjeu : passer la douane de l'aéroport de tel Aviv, sans doute avec moult fouilles, mais sans révéler notre voyage en Cisjordanie, pour conserver une chance de pouvoir revenir...


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