Leïla Shahshahani
journaliste indépendante

ACTUS  
 

REMISE DU 15ème PIOLET D'OR, PORTE-PAROLE DU STYLE ALPIN :
STEVE HOUSE ET VINCE ANDERSON DOUBLE VAINQUEURS

La 15ème cérémonie du Piolet d'Or s'est tenue vendredi 10 février dans la salle grenobloise d'Alpes Congrès, remplie pour l'occasion. Le prix du public comme le prix du Jury, et donc le Piolet d'Or, ont été attribués aux alpinistes Steve House et Vince Anderson pour l'ouverture du pilier central du versant Rupal du Nanga Parbat (8125 m) au Pakistan, en pur style alpin

Cette année, six équipes d'alpinistes étaient à l'affiche (seuls ou en cordée), tous nominés pour la difficulté et la qualité esthétique de leurs réalisations en montagne. On remarquera que cette édition du Piolet d'0r n'a retenu que des ascensions réalisées dans un style "léger", essentiellement "alpin", alors qu'on se souvient de la victoire - un peu controversée - l'an dernier de la cordée russe sur le Jannu (voir 14ème Piolet d'Or).

Tous les nominés étaient présents pour s'exprimer sur scène et répondre aux questions du journaliste et réalisateur Gilles Chappaz, animateur de la soirée. A l'exception de la cordée italienne composée des alpinistes Ermanno Salvaterra, Alessandro Beltrami et Rolando Garibotti - auteurs de l'ouverture d'une nouvelle voie sur le Cerro Torre en Patagonie - qui ont fait savoir qu'ils réfutaient le principe de la "récompense" en alpinisme. A ce sujet, Philippe Descamps, rédacteur en chef de Montagnes Magazine (organisateur de l'événement), a tenu a rappelé au public que la remise annuelle du Piolet d'Or n'avait en aucun cas pour but d'établir une hiérarchie entre les diverses réalisations alpinistiques, la discipline n'ayant pas besoin de héros, mais plutôt d'éclaireurs et de portes-parole.
Un point de vue réaffirmé par Pierre Hoffman, représentant du GHM (co-fondateur du Piolet d'Or) en l'absence de son président Leslie Fucsko, déclarant qu'il n'est pas question d'établir la "supprématie d'une réalisation sur l'autre". De son côté, l'alpiniste britannique Stephen Venables, président de la cérémonie, n'a eu de cesse de répéter à quel point il avait été difficile de choisir une réalisation pour le décernement du 15ème Piolet d'Or. Adepte de l'exploration himalayenne et de l'ouverture de nouvelles voies en style alpin, Stephen Venables a précisé qu'à ses yeux, "l'ascension idéale ne laisse pas de traces". "Nous voulions récompenser un projet ambitieux, une équipe soudée, une ligne parfaite", a-t-il ajouté. A ce jeu Steve House et Vince Anderson l'ont emporté. Ils ont aussi remporté l'adhésion du public, invité depuis l'an dernier à se prononcer par vote lors de l'entracte. En 2005, Steve House avait déjà obtenu le prix du public pour son ouverture en solo dans la face sud-ouest du K7 au Pakistan.

Pour ce 15ème Piolet d'Or, le public aura apprécié la présentation claire et homogène des ascensions nominées, avec pour chacune un film utilisant les images disponibles et résumant succintement le déroulement et les caractéristiques de l'expédition. L'intérêt étant aussi de pouvoir entendre chacune des cordées s'exprimant sur scène après chaque film ; un élément essentiel pour permettre au public de faire son choix, un peu "au feeling". Ainsi, on apprend que Steve House, de retour chez lui après l'accomplissement de son rêve d'alpiniste, a déprimé pendant quelques mois, n'ayant plus de projets en tête (ils sont revenus depuis). Pour l'anecdote, et selon les mots de Stephen Venables, on retient de l'ouverture de la face sud du Broad Peak au Pakistan par Denis Urubko et Serguey Samoilov que "ça ne rigole pas dans l'armée kazakh", les alpinistes n'ayant pris par souçi de légèreté qu'un duvet pour deux. Quant à la cordée soudée des Allemands Robert Jasper et Stefan Glowacz, on ne peut qu'admirer leur ténacité, moyennant deux semaines passées sous un igloo en pleine tempête, pour venir à bout en 2005 de l'ouverture d'une nouvelle voie dans la face nord du Cerro Murallon (2831 m) en Patagonie, entamée l'année précédente mais non terminée à cause des mauvaises conditions météo. Le jeune suisse Ueli Steck, adpete du solo et solo intégral, aura lui forcé l'admiration et ému une partie du public en racontant les moments de découragement qu'il a traversé lors de son enchaînement en solitaire de trois parois techniques dans le massif du Khumbu, au Népal (il renonce à mi-hauteur sur l'Ama Dablam à cause des importantes chutes de neige rendant l'itinéraire dangereux). La présentation de la traversée du sommet nord vierge (7199 m) au sommet central (7540 m) du Chomo Lonzo au Tibet par les Français Christian Trommsdorff, Patrick Wagnon et Yannick Graziani, déjà bien relatée dans la presse spécialisée, aura permis de rebondir sur l'actualité en rappelant l'aide du milieu montagnard français aux victimes du séisme du Pakistan, via l'association "Solidarité Cachemire", et en renouvelant l'appel aux dons auprès du public. Enfin, le récit de la réalisation italienne sur le Cerro Torre aura été l'occasion de rappeler la controverse qui existe au sujet de la facette nord, dont Cesare Maestri revendique l'ouverture et la première du sommet en 1959 (son compagnon Toni Egger s'est tué à la descente), aujourd'hui toujours contestée ou sérieusement mise en doute, notamment par la cordée italienne nominée qui remarque qu'au-delà d'un certain point, il n'y a absolument plus aucune trace d'équipement.

En hommage au grand alpiniste Jean-Christophe Lafaille, disparu récemment sur le Makalu, un film en image et musique réalisé par Christophe Raylat (Chorten productions), a été projeté en début de cérémonie.

Le jury du 15ème Piolet d'Or était composé des personnalités suivantes : Stephen Venables (UK), Président ; Leslie Fucsko, président du GHM et représenté par Pierre Hofmann ; Alexei Bolotov et Mishka Mikhaïlov (Russie), membres de l'expédition russe lauréate du 14ème Piolet d'Or ; Mike Turner (UK), nominé au 13ème Piolet d'Or ; Silvo Karo (Slovénie), alpiniste et membre de Mountain Wilderness international ; François Marsigny, Piolet d'Or 1994 ; Im Duc Young (Corée), alpiniste et journaliste ; Guy Chaumereuil, fondateur du prix et directeur de la FFCAM et la rédaction de Montagnes Magazine, représentée par son rédacteur en chef Philippe Descamps.