Leïla Shahshahani

journaliste indépendante

REPORTAGES 

 
PALESTINE : LE RECIT DE LA MISSION 154 DE LA CCIPPP - DU 5 AU 20 AOUT 2009

Alors qu'une marche internationale sur Gaza se prépare pour conclure l'année 2009, à laquelle je participerai (voir mon blog) avec des centaines de personnes venues de tous les pays, voici le récit au jour le jour de mon voyage en Palestine effectué cet été.

ENVIE D'ALLER VOIR


J'entends parler du conflit israélo-palestinien depuis que je suis née, ou presque. Et l'histoire a commencé bien avant, il y a soixante ans, puisqu'on date le début du conflit à 1948 (voir les grandes dates). L'offensive israëlienne au Liban à l'été 2006 causait la mort d'un millier de civils. La cote de popularité d'Israël, si tant est qu'il y en ait une, en prenait pour son grade. Fin 2008, les avions israéliens bombardaient Gaza, n'oubliant sur leurs passages ni les hôpitaux ni les écoles ou autres cibles civiles, faisant une fois de plus des centaines de morts civils. C'en était fini de la réputation de ce pays criminel. Du moins je le pensais, à l'instar de nombreux manifestants protestant contre les agissements d'Israël. Pourtant, certains mythes ont la peau dure et à en juger par l'attitude de nos gouvernements, rien n'a changé. Israël jouit toujours d'une impunité sans faille, que j'ai du mal à m'expliquer.
On parle de processus de paix... Mais sur le terrain, quelle allure a-t-elle, cette paix ?

Des associations permettent au citoyen lambda d'effectuer un voyage d'"introduction" à la Cisjordanie (Gaza est interdit d'accès par l'armée israélienne), grâce à de nombreux contacts tissés sur place avec des organisations non gouvernementales et associations diverses. Palestiennes mais aussi israéliennes. C'est le cas de la "Campagne civile internationale de protection du peuple palestinien" (CCIPPP), avec qui je suis partie cet été.
Avec huit autres personnes qui participent au voyage, nous formons la 154ème mission civile. L'objectif : se rendre compte de la situation et témoigner, au retour et sur place en envoyant des comptes-rendus quotidiens. Notre groupe se rencontre une fois à Paris une quinzaine de jours avant le départ. Nous sommes majoritairement dans la trentaine, et personne n'est jamais allé en Israël ou dans les « Territoires occupés ». Le briefing est un peu inquiétant, tant sur les mesures à prendre pour éviter de se faire pincer à la douane (les Israéliens ne souhaitent pas que les étrangers se rendent en Cisjordanie), que sur les descriptions des armes utilisées par les soldats israéliens dans les manifestations auxquelles nous participerons.

Comme de nombreux internationaux croisés là-bas, j'ai ressenti ce besoin d'aller voir pour tenter de comprendre des petites choses par-ci par-là. Je ne suis pas partie l'esprit neutre. Il n'était pas question d'aller faire du tourisme en Israël mais bien de passer le mur pour aller du côté palestinien occupé. Ce que nous avons vu nous a choqué. C'est le tarif pour ceux qui s'y rendent, de tous les témoignages recueillis. Les mots s'animent : occupation, colonisation, humiliation, prennent un sens. L'oppression se vit au quotidien, avec partout les mêmes destins pour les familles palestiniennes : expulsions, destructions de maisons, empêchements de cultiver la terre, privations d'eau, murs de ciment et barbelés dressés de toutes parts, checkpoints où l'on se sent l'âme du bétail. L'humiliation est infligée à tout un peuple par une armée pubère. La visite d'Hébron pourrait presque suffire à résumer la situation (voir récit du 12 août).

L'international de passage bouillonne devant tant d'injustice venues d'un Etat se clamant "démocratique", et se demande comment il réagirait si lui-même y était soumis. Parviendrait-il à rester aussi calme et digne que l'écrasante majorité des Palestiniens, dont la plupart ont un membre de leur famille tué, emprisonné ou blessé ? Il n'est pas question de justifier la violence de quelques rares Palestiniens qui choisissent par désespoir de se faire sauter dans un bus. Il est en revanche question de dénoncer une violence permanente aux multiples visages infligée depuis 60 ans par un Etat à une population chassée de ses terres. La colonisation ne cesse pas, elle est visible tous les jours sur le terrain, les grues et les bulldozers sont actifs. Les soldats chantent "Welcome to Israël" au cœur des territoires palestiniens. L'occupation bat son plein, le mur gagne du terrain, au nez et à la barbe du droit international. Quant à l'autorité palestinienne - Mahmoud Abbas en tête -, elle est devenue, pour tous les Palestiniens avec qui nous avons discuté, le symbole de la soumission - voire de la collaboration - à Israël. Ceux que nous avons rencontré résistent au quotidien : en refusant d'abandonner leurs maisons contre tout l'or du monde, en les reconstruisant autant de fois que l'armée israélienne les détruira, à cinq reprises si nécessaire quand ils en ont les moyens. En manifestant pacifiquement chaque semaine au-devant du mur pour réclamer leurs droits fondamentaux et la fin de cette nouvelle apartheid. En faisant appel aux internationaux pour qu’ils les accompagnent sur le terrain et témoignent de retour dans leurs pays. En appelant les populations civiles du monde entier à boycotter Israël, puisque les Palestiniens n'ont bien souvent de choix que de consommer les produits israéliens imposés par la voie de multiples restrictions douanières.

J'ai été surprise du grand nombre d'internationaux de tous âges - beaucoup de jeunes de 20 à 30 ans - rencontrés cet été sur les routes de Cisjordanie. J'admire la ténacité des Israéliens anticolonialistes croisés là-bas, qui ont le courage de leurs opinions au milieu d'une population israélienne très largement hostile. C'est une petite note d'espoir dans ce grand chaos. Comme ce fut le cas il n'y a pas si longtemps pour l'Afrique du Sud, il semble que seul le boycott d'Israël, déjà bien entamé, pourrait contribuer aujourd'hui à changer la donne. Certains israéliens comme l'universitaire Neve Gordon appellent au boycott de leur propre pays (lire l’article), au risque de perdre leur emploi.

LE 3 AOUT 2009 - FAUX DEPART : LA COMPAGNIE ISRAELIENNE "EL AL" ME REFUSE A BORD

Fin prête. Depuis dix jours j'efface toutes les traces compromettantes : les prénoms arabes sur mon téléphone portable, puisqu'on nous prévient que régulièrement les puces sont scannées ; les amis iraniens sur facebook et tous les messages parlant de la Palestine. Je me refais un carnet d'adresse papier et crée une nouvelle adresse email vide de tout contenu suspicieux. Reste un bug : en googlesisant mon nom, à la deuxième page, on tombe sur le renvoi vers le blog d'une italienne nommée Leïla. Elle m'écrit : "Nous ne sommes pas deux mais trois liées à Leïla Khaled". Leïla Khaled est Palestinenne. Elle a 24 ans le 29 août 1969. Ce jour là elle devient la première femme de l'histoire à détourner un avion (El Al) pour faire parler de la cause de son pays, jusque là bien méconnue (l'opération ne fera pas de victimes). Sa photo paraît dans les journaux. Certains parents nomment alors leur fille Leïla. Leïla Khaled est toujours en vie, un documentaire a été réalisé sur sa vie. Si par malchance les douaniers tombent sur ce lien (ça leur arrive de jouer avec le net), je suis foutue. Deux jours avant mon départ, après avoir un peu tout tenté, je parviens à joindre cette Leïla italienne sur son portable. Elle supprime mon nom de son blog. Le lien sur google continuera d'exister pendant quelques temps mais renverra vers une page dépourvue de toute référence à mon nom, c'est le principal.

Je pars donc assez sereine. J'embarque à Lyon l'après-midi à bord d'un avion de la Bruxelles Airlines (BA). A Bruxelles, je dois embarquer sur un vol de la compagnie israélienne El Al. Car bien que mon vol m'ait été vendu par BA sur internet, c'est El Al qui opère la seconde partie du voyage (je ne m'en suis pas rendue compte au moment de la réservation). Je m'en serais bien passée pour deux raisons : je n'ai aucune envie de leur donner mon argent, et d'autre part la compagnie est réputée pour ses contrôles de sécurité draconiens. J'attends donc sagement que le numéro de la porte s'affiche pour m'y présenter et faire ma deuxième carte d'embarquement qu'on ne m'avait pas donné à Lyon. J'avais vérifié que j'étais dans les temps avec un agent de la sécurité. Aucun problème.
A 18h50, je me rends porte B11, pour un vol qui part à 19h25. Ca grouille déjà de monde dans la salle d'embarquement (les habitués du vol savent que c'est toujours en porte B11 que ça se passe... mais ça je ne le saurais qu'après). On est encore loin de faire entrer les gens dans l'avion. On me dit de vite me rendre au contrôle de sécurité, derrière une porte vitrée à quelques pas de là. D'abord une jeune employée de El Al m'y refuse l'entrée en disant qu'elle n'a pas le temps, et me propose de retourner au comptoir. Je lui dit que j'en viens. Au bout de quelques minutes elle me fait entrer et me dit de m'asseoir, en précisant qu'elle n'a toujours pas le temps de s'occuper de moi. J'attends. De toute façon, elle sait que je prends cet avion.
Cinq minutes plus tard elle revient, me prend mon passeport et disparaît avec. J'attends. J'imagine que je vais avoir droit à un premier interrogatoire sur les raisons de mon voyage, comme c'est arrivé à d'autres avant moi. L'employée revient au bout de quelques minutes, me tend mon passeport et me dit d'une voix tranquille : "Vous ne pouvez pas monter dans cet avion". Abasourdie, je lui demande de reformuler. Mais non, c'est bien ça, je n'ai pas rêvé. Je commence à m'énerver poliment et demande la raison de ce refus.

- "Vous êtes arrivée en retard"
-
"Mais comment aurais-je pu arriver avant puisque la porte d'embarquement n'était pas encore affichée sur le tableau ? Regardez, je ne suis pas en retard, tout le monde est là, l'embarquement n'a même pas commencé. Et c'est vous qui m'avez fait attendre depuis tout à l'heure."

Rien à faire, l'employée est inflexible. Je demande à parler à un responsable. On me dit que je pourrais en voir un...après le départ du vol. Je commence sérieusement à m'énerver et à hausser le ton. Un jeune israélien qui était dans le premier avion de Lyon avec moi et qui parle français s'étonne. Il leur dit qu'il est arrivé à la porte à peine une minute avant moi et qu'il est entré sans problème. Lui et d'autres qui étaient dans le premier vol avec moi me reconnaissent et questionnent le personnel de El Al pour tenter de m'aider. Sans succès. Un premier responsable me répond avec un dédain non dissimulé : "Je connais votre problème, mais vous ne monterez pas dans cet avion". Deux employés ont l'air de bien s'amuser de la situation, et même d'en rire avec un autre passager israélien qui me balance un "sans blague vous ne pouvez pas monter, comme c'est dommage" avec un effrayant cynisme. Non je ne suis pas en train de rêver, je ne suis pas non plus sous l'emprise de drogues qui rendent paranoïaque, ceci est bien réel. Et totalement surréaliste.
Les passagers commencent à embarquer un à un sous mon nez, et une ultime tentative auprès d'une autre responsable arrivée sur les lieux me vaut une fin de non-recevoir. "Nous ne pouvons rien pour vous, allez voir Bruxelles Airlines, ce sont eux les responsables".
Je me rue au comptoir proche de BA en espérant qu'ils pourront interférer à temps avant que mon avion décolle. L'empoyée de BA est en ligne et prend son temps ; je lui fais des grands signes, lui dit que mon avion va partir... Rien n'y fait elle prend son temps. Elle raccroche et me dit qu'elle ne me parlera pas tant que je ne suis pas calmée.

- "Pour cet avion, c'est trop tard me dit-elle".
J'explose en sanglots. Délit de... nom iranien ? Je ne vois que ça, et ça me rappelle d'autres histoires que j'ai lu avant le voyage de passagers à qui il est arrivé la même chose. Je ressens d'un coup ce que peut signifier le règne de l'arbitraire, et le sentiment de profonde injustice qui l'accompagne. Je m'imagine alors le français d'origine arabe qui encaisse chaque jour des contrôles inopinés pour délit de faciès. Y'a vraiment de quoi avoir la haine. Quand je vois l'état dans lequel je suis après ce simple incident...

L'employée de BA est exaspérée. Elle m'explique que la même scène se produit tous les jours. Lorsque son supérieur arrive et me voit dans cet état, elle lui explique la situation. Il lève les yeux au ciel, lui aussi connaît par cœur le scénario. Ils trouvent une place pour moi sur un vol du lendemain soir, en me faisant grâce du supplément de 75 euros (manquerait plus que ça). Ce nouveau vol est opéré cette fois-ci par BA. "Comme ça vous êtes sûre de pouvoir monter dans l'avion", me dit-on....

Je tremble déjà pour le passage de la douane à l'aéroport de Tel Aviv. Je n'ai pas du tout apprécié ce premier épisode et si la suite se déroule dans le même ton, je risque de passer un sale quart d'heure. Je prends place dans l'avion. Passe alors devant moi un couple de français qui me scrute bizarrement... Après deux minutes je percute : c'est Audrey et Fred, qui font partie de la mission civile ! Respect des consiges oblige : nous ne adressons pas la parole de tout le vol. Leur présence me rassure un peu malgré tout.

LE 4 AOUT - PASSEE AU CRIBLE A L'AEROPORT BEN GOURION (TEL AVIV)

Il est 1h30 du matin quand nous débarquons. Tous les passagers font la queue pour le contrôle des passeports. J'essaie de repérer une file où la douanière n'a pas l'air trop coriace. Surtout, ne pas se fier aux apparences... Derrière moi, j'entends Fred et Audrey, qui ont choisi la même file. Tout le monde passe, moyennant quelques longues minutes de questions au comptoir. Vient mon tour. J'ai droit au rituel : "Pourquoi venez-vous en Israël ?", "Connaissez-vous des personnes en Israël ?", "Où comptez-vous allez en Israël ?"... Puis vient la question que je redoute : "De quelle origine est votre nom ?"... Iranienne... On me fait signe de repartir en arrière vers une petite salle. Fred et Audrey me lancent un regard qui signifie "Bonne chance"... Là se tiennent trois policiers, et un homme nerveux qui fait les cent pas. Au bout de quelques minutes, je réalise qu'il a les poignets liés par des menottes. Chouette ambiance, à 2h du mat.

J'attends, on ne me dit rien. J'écoute mon mp3 pour essayer de penser à autre chose et je fais la fille épuisée (ceci dit, je le suis). Pendant ce temps l'aéroport se vide et il ne reste bientôt plus que moi, cet homme menoté, et les policiers. Les interrogatoires dureront plus d'une heure et demi. Six personnes me posent exactement les mêmes questions à tour de rôle, a priori pour tester ma cohérence. Je reste calme mais, pour avoir l'air crédible, montre quand même des signes d'impatience, comme tout voyageur qui serait traité de la sorte dans n'importe quel aéroport du monde. On me demande de donner mon numéro de téléphone portable. Je le fais à contre-cœur pour m'éviter d'autres soupçons. Quand on commence à me cuisiner sur mon grand-père iranien et l'année de son départ pour les Etats-Unis, je parviens à glisser la phrase qui m'épargnera sans doute une bonne heure d'interrogatoire supplémentaire : "Il est arrivé à New-York pendant la seconde guerre mondiale car c'est là qu'il a rencontré ma grand-mère qui fuyait la France parce qu'elle était juive". Les yeux de la douanière s'équarquillent : "Voter grand-mère est juive ?". "Oui, et donc mon père aussi", je m'empresse d'ajouter.

Après avoir répondu correctement à tous mes interlocuteurs, je récupère mon sac-à-dos abandonné dans le hall vide. Il est passé une énième fois aux rayons X. Il est environ 3h30 du matin quand je monte dans un taxi collectif qui m'emmène à l'entrée de la vieille ville de Jérusalem. Je dois ensuite trouver un autre taxi privé qui accepte de me conduire dans le quartier arabe où se trouve la Maison d'Abraham, un couvent catholique où je passe ma première nuit.

LE 5 AOUT - RETROUVAILLES A JERUSALEM

Tout le monde pointe au rendez-vous fixé quinze jours plus tôt à Paris : 17h au New Imperial Hotel, au cœur de la vieille ville. Chacun raconte son passage à la douane. Les "bons français" sont passés comme une lettre à la poste, les profils un peu plus louches avec un nom à consonance arabe ont ramé un peu plus. Nous recevons quelques minutes plus tard le mail envoyé par l'un des bénévoles de la CCIPPP, avec un premier programme provisoire des jours à venir. Nous tenons là notre première réunion "officielle". Chaque soir, nous nous imposerons ce rituel afin de faire le débriefing de la journée, préparer celle du lendemain, et apaiser les tensions du groupe, inévitables par moment vu la fatigue et la tension accumulés.


LE 6 AOUT - JERUSALEM, PREMIER CONTACT : ENTRE MUR, DEMOLITIONS ET EXPULSIONS

Ce matin, quelques uns d'entre nous passent au bureau de la Coordination des affaires humanitaires (OCHA), dépendant de l'ONU. Nous rencontrons une employée qui nous fait une petite présentation du rôle de cette organisation. Nous faisons le stock de cartes détaillées des territoires occupés de Cisjordanie (West Bank en anglais), remises à jour régulièrement. Y figurent notamment les zones militaires israéliennes, les colonies, les routes interdites aux Palestiniens, les checkpoints, le tracé du mur construit, en construction ou prévu... et au milieu de ce vaste chantier, coupés les uns des autres, les grands centres urbains palestiniens : Naplouse, Qalqiliya, Ramallah, Jericho, Bethléem, Hébron... Pour mémoire, la Cisjordanie et Gaza, territoires occupés sur lesquels sont censés se construire le futur Etat palestinien, ne représente que 22% de la Palestine historique.

En fin de matinée, nous avons quitté le centre de Jérusalem pour passer en Cisjordanie, quelques kilomètres plus loin. On passe de la ville animée à un paysage de désolation type terrain vague. A Anata, située au nord-est de Jérusalem, nous retrouvons le camp d'été de l'association israélienne ICAHD (Israeli committee against house demolitions), composé d'internationaux et d'Israéliens. Leur mission : reconstruire en quinze jours une maison palestienne détruite il y a un an et demi par les Israéliens, comme de nombreuses autres maisons alentour. On ne détruit pas seulement les murs mais aussi les quelques plantations que les Palestiniens ont réussi à faire pousser sur ce sol aride. Je parle au propriétaire de l'une des maisons : la sienne a été cinq fois démolie par les autorités israéliennes, et à chaque fois reconstruite par les bénévoles. L'absurde dans toute sa splendeur, mais la seule manière pour les habitants de ne pas baisser les bras en montrant qu'ils tiennent bon. Le chantier se fait dans la bonne humeur, les Espagnols mettent l'ambiance en chantant alors qu'on fait la chaîne pour se passer les parpaings. Impressionnant le travail déjà accompli en cinq jours.

Juste derrière la maison se dresse... le mur. C'est une chose de l'avoir vu sur un écran de télé et de le voir à quelques mètres de soi. Je ne trouve pas les bons mots pour en parler. Au pied du mur, on reste sans voix. Dans quelques semaines, cette partie du mur encore en construction devrait être terminée. Il est destiné à rendre l'accès à Jérusalem encore plus difficile pour les Palestiniens vivant dans ce quartier. Le check point devient la seule issue de sortie. Pas de Jérusalem, pas de boulot. Comble du comble : de nombreux Palestiniens, désespérés de trouver un emploi pour nourrir leur famille, se retrouvent obligés de construire ce mur qui les enferme. D'autres construisent les habitations des nouvelles colonies juives alors qu'on vient de détruire leur propre maison pour y mettre des colons. Il fallait oser y penser.

 



L'après-midi, nous nous rendons dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah dans Jerusalem est (quartier arabe). Ici, deux familles palestiniennes (56 personnes au total) ont été expulsées de leur maison lundi dernier. Sous prétexte de titres de propriétés remontant au 19ème siècle (époque ottomane) jamais montrés, les colons juifs exigent d'investir les maisons de ce quartier. Ils sont soutenus par leur Etat. Une heure après l'expulsion des familles palestiniennes, les colons juifs ont pris place dans leur nouvelle demeure, protégés par la police, sous les yeux des propriétaires palestiniens choqués. Depuis dimanche, ces derniers campent dans la rue devant leur maison. Aux internationaux qui viennent les voir, ils expliquent la situation, en espérant qu'ils pourront témoigner. Devant la deuxième maison, une rue plus loin, l'émotion monte. Les colons orthodoxes entrent et sortent de leur nouvelle demeure sous les yeux des expulsés qui, je ne sais comment, contiennent leur rage. Une petite fille de un an s'avance vers sa maison et pointe du doigt en direction d'un colon qui profite désormais de "sa" nouvelle terrasse. Un petit garçon d'environ trois ans tente un maigre crachat en direction d'un colon qui sort de son nouveau "chez lui". Vraiment, il faut le voir pour le croire. Nous passons plusieurs heures devant la maison et prenons en photo ses nouveaux occupants telles des bêtes de cirque, en leur criant un "shame on you" de temps en temps. Tout cela n'a pas l'air d'affecter leur conscience de pieux religieux.
Dans notre groupe, plusieurs personnes ont les larmes aux yeux ou pleurent tout simplement, abasourdis par l'inhumanité de la scène. La situation paraît tellement surréaliste que les émotions sont parties. Je ne ressens plus rien.

Vu la charge émotionnelle de la premiere journée, nous redoutons un peu la suite. Demain soir, nous serons à Naplouse, en pleine Cisjordanie, à environ une heure au nord de Jérusalem.

LE 7 AOUT - ASSOIFFER LES VILLAGES

Plus on avance et plus les repères se brouillent et les interrogations affluent. Une chose est sûre : ce qui se passe ici n'a rien à envier à ce que fut l'apartheid. Pas besoin de chercher mille et un arguments, les signes sont partout présents.

Hier, nous avons participé à un convoi d'eau collectif : trois bus d'internationaux et d'Israéliens et plusieurs véhicules privés ont accompagné deux camions citernes remplis d'eau à destination du village de Qarawat Beni Zaid dans le district de Ramallah : les Israeliens ont pris le contrôle des sources et assèchent les villageois en réduisant de manière draconienne leur alimentation en eau, la distribuant largement aux colonies voisines. Les robinets ne coulent plus depuis quatre à cinq mois ici, autant dire que les Palestiniens se passent de douche et les oliviers d'arrosage. Les villageois recoivent une ration cinq fois inférieure à celle des colons. Reste l'eau minérale... israélienne en bouteille, pratique et économique comme chacun sait.
L'arrivée du convoi au village est déroutante : une large foule s'est regroupée sur la place de la mosquée et devient totalement euphorique à notre descente des véhicules. Les enfants se ruent en riant sur le robinet des camions citernes, encadrés par les adultes qui veillent à ce que l'eau ne se répande pas sur le sol. Les jerricans sont remplis à la chaîne. Tout ça n'a pourtant rien de drôle, si on y pense. Ce n'est pas qu'il n'y a pas d'eau, c'est que certains humains semblent en "mériter" moins que d'autres... Excellente stratégie pour tenter de faire partir ceux qu'on ne désire pas ici. Le maire du village fait un discours sur la place centrale. Les privations d'eau concernent aussi les villages voisins de Kufr'Ayn, Beit Rima, Deir Ghassani et Nabi Salah.

C'est l'occasion de rencontrer les habitants des lieux. Dans notre groupe, Djamel parle arabe et nous est d'un grand secours. On pourrait croire qu'hormis le problème de l'eau, la vie s'écoule normalement à Qarawat Bani Zeid. Normalement, pour un Palestinien. Pas un qui n'ait ici un membre de sa famille tué, emprisonné ou blessé par les forces israéliennes. Les photos des défunts sont partout, chacun veut nous raconter son histoire. Pour avoir passé la tête par sa fenêtre, une femme s'est pris une balle... Nous sommes invités à boire le thé chez une famille apparemment aisée du village. Comble de l'ironie, quand nous partons, ils veulent nous donner... des bouteilles d'eau ! Nous refusons catégoriquement, évidemment.

 

LE 8 AOUT - VISITE AU CAMP DE REFUGIES DE FAR'A

Nous avons passé la journée dans le camp de réfugiés de Far'a, établi en 1949 à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Naplouse. Administrativement, ce camp dépend de la ville de Jenin, située au nord de la Cisjordanie. L'endroit ne ressemble pas à l'image qu'on se fait d'un camp comme on les voit aux infos à propos du Soudan par exemple. Les tentes ont laissé place à des cubes ou maisons de ciment. Il faut dire que le "camp" s'éternise et que les milliers de réfugiés (presque 8000) qui se trouvent là s'enracinent bien malgré eux sur cet emplacement vide de sens. Depuis 1948 qu'Israël les a chassés de chez eux pour agrandir son Etat, ils vivotent ici avec l'aide de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), avec une seule obsession : rentrer au pays. C'est le fameux volet du "droit au retour", énoncé par la résolution 194 des Nations Unies. Certains gardent la clef de leur ancienne maison autour du cou, même si celle-ci a été bien souvent détruite. L'ancienne génération transmet aux jeunes l'amour de la terre natale, au grand dam des sionistes qui affirmaient que lorsque "les vieux mourront, les jeunes oublieront". Les Palestiniens ne demandent pas le départ des Israéliens, ils demandent le droit de revoir leur terre et d'y cohabiter avec eux. Certains se rappellent d'une cohabitation autrefois paisible entre arabes et juifs. Un Etat, deux Etats ou dix Etats, peu importe pour beaucup de Palestiniens tant qu'ils peuvent retourner sur leur terre. Aujourd'hui, on refuse aux vieux le droit de se faire enterrer sur leur terre d'origine.
Nous avons rencontré à Far'a les élus du camp (Comité Populaire), un très vieux réfugié et un plus jeune militant du "droit au retour". "Nous ne sommes pas des terroristes" nous répètent inlassablement nos interlocuteurs, conscients de leur image dans les médias occidentaux. Ils nous demandent d'être leurs messagers.
L'un d'eux nous pose la question : "Que feriez-vous si vous étiez des Palestiniens aujourd'hui?". Que dire... je prends la parole et explique que chez nous, l'attachement à la terre natale n'est peut-être plus aussi fort qu'il a pu l'être pour les générations précédentes. Je me demande si je ne déciderais pas de m'exiler ailleurs pour fuir tant de souffrance. Mais l'exil a-t-il un sens quand on perd toutes ses racines ? Quand on voyage ou qu'on part vivre à l'étranger, pour nous, c'est un choix. On sait où se trouvent nos racines et l'on peut y revenir. Aurait-on l'envie de partir si l'on était chassés de chez nous ? C'est tout à fait impossible de se mettre dans la peau d'un Palestinien. La réponse de notre interlocuteur est claire et simple : "L'attachement à notre terre est si fort qu'il nous permet d'endurer la souffrance".


Si certains réfugiés ont trouvé du travail en ville, le taux de chômage dans le camp est élevé. Socialement, un réfugié est déconsidéré. Les incursions nocturnes des militaires israéliens dans le camp sont quasi quotidiennes. Nous avons entendu une patrouille rôder lors d'une nuit passée dans un autre camp près de Bethléem. Notre petit tour de Cisjordanie nous permet de comprendre une chose : les soldats israéliens maintiennent les Palestiniens dans un état de stress permanent, allant jusqu'a troubler leur sommeil. Cette "guerre d'usure" qui dure depuis 60 ans en Cisjordanie a un objectif : rendre leur vie si insoutenable qu'ils finiront par aller vivre ailleurs, au-delà des frontières d'Israël si possible. A priori c'est peine perdue : je n'ai jamais vu un peuple aussi attaché à sa terre natale, aussi déterminé à résister jusqu'au bout.
Pour plus d'informations sur les réfugiés palestiniens, consulter le site de l'organisation BADIL (Le Centre de Ressources pour le Droit à la Résidence et le Droit des Réfugiés palestiniens), fondée en 1998 et dont nous avons rencontré un membre du bureau national lors de notre passage à Far'a.

LE 9 AOUT - LES RESISTANCES DE NAPLOUSE

Après la très grosse journée d’hier avec la visite du camp de réfugiés et les infinies réflexions qui s’ensuivent, la journée d’aujourd’hui est psychologiquement plus légère mais hautement instructive.

Nous avons commencé par la visite de la savonnerie de Touqane au cœur de Naplouse, capitale palestinienne du savon. Avec 20 employés et finalement peu de postes de travail, de larges quantités de savon sont fabriquées ici. De l’eau, de l’huile d’olive et de la soude, et hop le tour est presque joué. Deux personnes emballent les savons au rythme de 6000 par jour... la cadence est impressionnante. Le savon, c’est l’image de Naplouse. Nous en achetons quelques uns. Beaucoup d’entre nous en ont déjà acheté en France. C’est un petit moyen pour contribuer à soutenir l’économie palestinienne, brisée en très grande partie par les Israéliens. Il y avait avant une trentaine de savonneries à Naplouse. Il en reste aujourd’hui trois ou quatre, beaucoup ayant été détruites ou n’ayant pu survivre dans une économie totalement ruinée.


Cap ensuite sur la caserne des pompiers de Naplouse, la plus grosse de Cisjordanie (et Gaza) avec 70 pompiers. Créée en 1958, elle est pourvue d’équipements modernes. Nous somme reçus par les responsables de la caserne. Ici les pompiers sont des civils dépendant de leur municipalité. Nous découvrons leur rôle phare dans la seconde intifada, plus violente que la première parce qu’armée. Les pompiers gardaient un lien direct avec les Palestiniens, devenant un interlocuteur privilégié alors que l’armée israélienne occupait les lieux. Ils ne demandaient pas l’autorisation de l’armée pour intervenir où on les attendait, celle-ci prenant trop de temps à réagir par la médiation de la Croix rouge. L'attitude indépendante des pompiers de Naplouse a engendré des répressions de la part d’Israël. Certains ont été blessés par des soldats israéliens, qui fermaient parfois les accès de la caserne, empêchant les pompiers emprisonnés dans leur propre bâtiment de partir sur le terrain. Ils ont même tenté de détruire les bâtiments mais les pompiers se sont interposés face aux bulldozers. Les pompiers considèrent qu’ils ont joué un rôle "humanitaire" dans l’intifada. Représentant alors la seule "autorité" palestinienne (la police était israélienne), ils étaient les premiers contactés par la population pour tout type de problème. Des liens forts se sont développés entre eux et la population de Naplouse. Interrogés sur une participation plus "active" de leur part dans la résistance, ils sourient... "90% d’entre nous ont fait un séjour en prison", disent-ils en guise de réponse. Aujourd'hui, ils interviennent régulièrement pour éteindre des feux allumés par des colons sur des terres palestiniennes autour de Naplouse (blé, oliviers), même en zone placées sous contrôle israelien (dite "zone C") : les pompiers israéliens y éteignent les feux naturels, mais pas les feux allumés par les colons. Ils nous racontent la dernière technique des colons : mettre le feu à un petit chien qui, en brûlant vif, court au milieu des blés et répand ainsi plus rapidement l’incendie sur les terres palestiniennes. No comment.

Nous poursuivons vers le studio de la radio Voice of An-Najah située dans l'enceinte de l'université An-Najah de Naplouse, la plus grande de Palestine avec 18000 étudiants. Le directeur de la radio nous accueille et nous parle de ce projet mis sur pied six ans plus tôt, en 2003, pendant l'Intifada. La radio couvre les villes du nord de la Cisjordanie, touchant plus d'un million d'habitants, mais ne peut atteindre Jérusalem du fait du refus des Israéliens d'installer des antennes. Elle crée un lien communautaire et permet aussi à des étudiants de se former au journalisme, même si une infime partie d'entre eux a la possibilité de vivre de ce métier en Palestine. Elle diffuse ses programmes sur les ondes de 6h à minuit, pour la plupart produit dans les studio de l'université où neuf profesionnels travaillent à temps plein, aidés de nombreux bénévoles dont certains sont correspondants sur le terrain. Les fond proviennent intégralement de l'université et opère sous le régime de l'autorité palestinienne. Durant l'intifada, de nombreuses radios palestiniennes ont été détruites par les Israéliens, mais Voice of An-Najah, malgrè quelques incursions et le brouillage de ses ondes, a survécu. Le directeur reconnaît que durant les périodes de tension, l'auto-censure peut être de rigueur pour éviter les ennuis. Interrogé sur l'engagement politique de la radio, le directeur insiste sur sa "neutralité", les différentes opinions s'exprimant dans la bouche des invités.

Non loin se trouvent les locaux de l'association Project Hope, fondée en 2003, par le biais de laquelle de nombreux internationaux viennent enseigner le théâtre, la musique, l'anglais et d'autres disciplines aux enfants de Naplouse, en priorité ceux des camps de réfugiés de la région, souvent détruits par des années d'Intifada. Cette association se veut "humanitaire" et prend le parti de ne pas s'engager politiquement.

Nous terminons la journée par une visite chez les Samaritains de Naplouse, sur les hauteurs de la ville (mont Guerizim). C’est notre premier véritable passage de checkpoint, avec vérification des passeports. A moins de permissions demandées à l’avance et délivrées au compte-gouttes, les Palestiniens ne sont pas admis dans cette zone. Ce qui parait paradoxal car les Samaritains d’ici semblent avoir plus en commun avec les Palestiniens qu’avec les Israéliens. Dans l’unique boutique de cette petite bourgade comme suspendue hors du temps, nous rencontrons un prof de l’université d'An-Najah qui nous parle un peu des Samaritains, car à part un vieillard et le commerçant, nous n’en croisons pas tant les rues sont désertes. Le prof est venu ici avec un groupe d’étudiants, sur autorisation spéciale. Il choisit avec précaution sa canette de boisson, car depuis huit ans il boycotte tout produit israélien, ou du moins autant que possible.
Il y aurait environ 400 Samaritains ici (et à peu prés le même nombre près de Tel Aviv). Ils ne se considèrent pas juifs, bien qu’hébreux se référant à la Torah. Tous sont pratiquants et une absence répétée trois fois à la synagogue sans explication valable peut valoir une exclusion de la communauté. Leur droit de vote s’exerce en Palestine, pas en Israël. En revanche, ils peuvent se déplacer librement sur tout le territoire. Il n’y a presque rien sur cette colline et les Samaritains descendent régulièrement à Naplouse pour les choses de la vie courante. Deux familles palestiniennes de bergers vivent parmi ces Samaritains.
Nous apprenons que le checkpoint n’est pas là pour les Samaritains mais pour "protéger" des installations militaires israéliennes et des colons israéliens installés non loin (nous apercevons la colonie de Bracha). Le prof nous explique qu’il y a deux jours, ces colons se sont emparés de terres palestiniennes voisines dans le village d'Iraq Burin. L’autorité palestinienne n’est pas intervenue. Cet épisode vient nous rappeler que derrière une apparente "normalisation" de la vie ici à Naplouse, la violence est toujours bel et bien là, et que le grignotage des terres se poursuit inexorablement. Déjà l'an dernier les colons de Bracha avaient incendié les terres de ce village. "On parle du processus de paix, mais il n’y a pas de paix", déplore le professeur. Vu d’ici, c’est bien la terrible réalité, loin du discours politiquement correct de nos médias.

En apparence, la situation générale, notamment à Naplouse, parait calme comparée aux huit dernières années d'intifada (achevée officiellement en 2008 - et hormis Gaza, affamée et bloquée par l'armée où les témoins ne sont pas admis). Pourtant la colonisation de la Cisjordanie ne faiblit pas voire se renforce, et les humiliations sur les Palestiniens sont quotidiennes. Pour beaucoup, c'est comme un calme avant la tempête, comme un passage dans l'œil du cyclône.

LE 10-11 AOUT - AL MA'SARA TIENT BON

Lundi matin, nous quittons Naplouse pour rejoindre le village d'Al Ma'sara situé au sud de Bethléem. Le premier soir, nous y retrouvons un groupe important de jeunes français et belges venus avec l'association Génération Palestine. Nous sommes accueillis pour le briefing d'arrivée dans la maison du maire du village. Ici, un groupe dynamique de Palestiniens organisent la résistance pacifique depuis 2006, via le "Comité populaire contre le mur". Des échanges ont lieu entre ce village et des communes du Trièves en France. Des groupes de Français viennent régulièrement à Al Ma'sara depuis 2002. Chaque vendredi, Palestiniens, Israéliens et internationaux manifestent contre le mur, et des villageois séjournent régulièrement dans les prisons israéliennes. Une petite visite guidée des environs de Bethléem nous permet de constater le grignotage continu de la colonisation, qui fragmente les territoires palestiniens et isolent ses habitants, rendant de fait de plus en plus impossible la création d'un état palestinien. Les expulsions et destructions de maisons se poursuivent à une cadence soutenue. Au sud-ouest d'Al Ma'sara, nous apercevons le gros bloc de colonies israéliennes de Gush Etzion, qui compte 50000 habitants environ et pénètre de vingt kilomètres à l'intérieur des terres palestiniennes (au-delà de la ligne verte de 1949). La population des colons continue de croître et l'expansion physique des colonies se poursuit, dans la perspective de les intégrer au projet d'un "grand Jérusalem". Nous apercevons aussi la colonie de Betar Illit, surplombant le village palestinien de Nahhalin. Les villages palestiniens encerclés dans ce bloc de colonies sont de plus en plus isolés. C'est le cas de Khallet Sakariya, un petit village que nous visitons avec nos hôtes d'Al Ma'sara, pris en sandwich dans le bloc de Gush Etzion. Ici les habitants n'ont le droit ni de construire, ni de réparer leurs maisons. Idem pour la mosquée en ruine et l'école dont une classe se fait dehors entre deux murs de briques posées faute d'extension possible. Actuellement, dix maisons sont menacées de destruction par Israël. Nous y rencontrons Abou Ibrahim, un vieux villageois de 107 ans qui a vu progressivement les colonies israéliennes l'encercler.
Depuis novembre 2006, les villageois palestiniens sont avertis de la construction prochaine du mur qui viendra grignoter davantage sur leurs terres. Des expropriations sont annoncées. En regardant vers l'est, côté Jourdain, depuis la colline de l'Hérodion, on aperçoit les colonies voisines de Teqoa et de Noqdim. C'est dans cette dernière que vit l'ultranationaliste Avigdor Lieberman, ministre des affaires étrangères israélien depuis 2009 et fondateur du parti d'extrême droite Israel Beiteinou. Là aussi un projet de liaison entre cette colonie et Jérusalem menace fortement les terres palestiniennes dont le village de Za'atara.

Pendant ce temps, le 6ème Congrès du Fatah se termine à Bethléem, et le convoi de ses dirigeants - Mahmoud Abbas en tête - passe sous nos yeux. Ce dernier en prend pour son grade dans toutes les conversations. Le "traître", le "chien", l'Israélien", font partie des petits noms que lui attribuent les Palestiniens.

Nous passons deux nuits dans la région, répartis dans plusieurs familles, inquiètes des incursions nocturnes de l'armée. Avec Magali et Manuella, nous sommes logées à quelques kilomètres d'Al Ma'sara, chez Mohammed, dans le camp de réfugiés d'Arroub, où vivent 9000 Palestiniens. Son appartement, bien que petit, nous semble "luxueux" vu le contexte ; il l'a contruit avec l'aide de 70 amis. Pourtant, il ne sent pas ici chez lui, puisqu'il est réfugié. Nous partageons le dîner avec des amis à lui, résistants eux aussi contre l'occupation (de retour en France, nous apprenons la mort de l'un d'eux, au volant de sa voiture, alors qu'il assurait le rôle de maire d'Al Ma'sara par intérim pendant l'absence de celui-ci). Mohammed nous met sa maison à disposition, une chambre unique avec salle de bain et cuisine. Il va quant à lui dormir sur un toit voisin pour mieux observer l'éventuelle venue de soldats. Au milieu de la seconde nuit, vers 2h du matin, on entend des bruits. Mohammed nous racontera au petit matin qu'il s'agissait bien d'une petite "inspection" du camp. Ca donne des frissons a postériori.

LE 12 AOUT - HEBRON L'INDICIBLE

Mardi matin, nous poursuivons vers le sud pour rejoindre la ville d'Hébron. On a pu en entendre parler, mais il est difficile de trouver les mots pour y décrire ce qu'on y voit. Hébron est un passage obligé pour voir le vrai visage de la colonisation. 500 colons, parmi les plus extrémistes qui soient, pourrissent la vie d'un demi-million de Palestiniens. Avec le soutien si ce n'est la bénédiction de l'armée israélienne, qui expulse les Palestiniens et protège les colons qui s'installent sur les lieux. Ils ont entre autre pris d'assaut les immeubles de la vieille ville dominant les rues où se trouvent les échoppes arabes. Du haut des fenêtres, les colons balancent leur détritus sur les Palestiniens. De grands filets ont été tendus pour récolter les divers déchets. Un colon aurait néanmoins réussi à faire passer une tige de fer entre les mailles : elle s'est plantée dans le crâne d'un Palestinien, qui en est mort. Ce n'est qu'une "anecdote" parmi d'autres. Une grande partie des échoppes a dû fermer définitivement, le quartier devenant trop infréquentable pour les Arabes. La ville n'est qu'amas de barbelés et barrières en tous genres. Les caméras de surveillance sont partout.

La mosquée d'Ibrahim (ou tombeau des Patriarches) est le lieu de toutes les humiliations ; c'est aussi là que le sioniste Baruch Goldstein massacra 29 musulmans pendant leur prière le 25 février 1994. La moitié de la mosquée a été confisquée aux Palestiniens : il faut passer par un véritable check point pour y entrer. Les jeunes soldats lancent des 'Welcome to Israel" provocateurs devant nos hôtes Palestiniens, en nous rendant nos passeports. Nous répliquons 'This is Palestine, not Israel". Ils se marrent, et se mettent à hurler et chanter à tue tête 'Welcome welcome to Israel", fusil en main. Une fois de plus la scène est surréaliste. La provocation est tellement infantile qu'elle pourrait faire rire si ce n'était si tragique. Nos amis palestiniens avalent leur colère en toute dignité. Au niveau du tombeau d'Abraham, la mosquée est coupée en deux : les Arabes n'en voit plus que l'arrière, la partie avant étant désormais réservée aux Juifs.
Une heure plus tard, nous buvons un verre dans une petite échoppe, au niveau d'une barrière bloquant l'accès des Arabes à un quartier juif. Un large groupe de personnes passe alors devant nous, en brandissant des drapeaux israéliens sous nos yeux et en scandant des slogans pro 'Israël'. En territoire conquis. C'est un groupe de sionistes francais ! Nous leur faisons remarquer à voix haute que nous sommes en territoire palestinien, et que les colonies s'apparentent à du vol de terres. Que n'avons-nous pas dit. En quelques secondes, quelques énervés nous tombent dessus et les soldats israéliens s'interposent pour éviter que nous nous fassions agresser. La violence et la vulgarité des sionistes nous subjuguent, et le mot est faible. Les "Ca pue la merde ici" ou "La Palestine est morte" font partie des joyeusetés, les gestes s'alliant aux paroles (libre cours à votre imagination).
Pendant ce temps, une autre partie de notre groupe a assisté à plusieurs scènes d'humiliation au 'checkpoint' de la mosquée. Nous quittons Hébron dans un état de haute tension.
Voir la vidéo d'un discours sioniste à Hébron en août 2009.


LE 12-13 AOUT - POUR LES BEDOUINS DU JOURDAIN AUSSI, L'OCCUPANT EST PARTOUT

Nous repartons vers le nord de la Cisjordanie, non loin de Jericho, pour y découvrir le calvaire des Bédouins palestiniens. Dans le village d'Al Jiftilik, comme ailleurs, les expulsions et destructions de maisons sont monnaie courante. Nous y retrouvons un groupe de Français de Génération Palestine qui passe une semaine ici pour aider à la reconstruction d'une maison détruite par les Israéliens. Ici, 18 maisons ont été démolies en trois ans.
Les eaux de la vallée du Jourdain sont contrôlées par les Israéliens qui la distribuent au compte-gouttes, et au faciès. A gauche de la route, la terre est asséchée. On est côté palestinien. A droite, les palmiers et autres plantes poussent vertement. On est côté israélien. C'est aussi simple que ça. Lors de l'occupation de 1967, des dizaines de milliers de Palestiniens ont fui vers la Jordanie. La vallée du Jourdain exporte dans le monde entier ses fruits (dates, oranges, raisins), produits sur des terres volées aux Palestiniens et étiquetés "made in Israel" (dont les célèbre plantations Jaffa). La vallée du Jourdain représente un enjeu de taille : frontière avec la Jordanie, terres envisagées pour l'expansion de Jérusalem vers l'est, importantes ressources d'eau souterraine. C'est aussi la seule terre disponible capable d'accueillir les réfugiés palestiniens en cas de réglement du conflit...
Le soir, on pourrait presque rêver sous les étoiles, dans ce paysage quasi désertique aux frontières de la Jordanie. Mais les lumières des colonies et les avions de l'armée israélienne qui nous frôlent viennent nous rappeler qu'on vit ici sous domination d'un état guerrier.
Nous visitons le village de Fasayil, entouré de colonies, où la construction de l'école, inaugurée en 2008, relève d'un combat permanent contre les vélléités de destruction des autorités israéliennes. Nous nous rendons ensuite dans la communauté bédouine d'Al Auja où la situation des 32 familles paraît inextricable : empêchés de vivre de leur mode de vie traditionnel nomade (interdictions de planter leurs tentes), Israël leur refuse aussi le droit de se sédentariser.

Ce soir nous avons traversé notre premier check-point à pied pour regagner Jérusalem. Tel du bétail, nous avons franchi les couloirs et tourniquets métalliques aux côtés de familles palestiniennes.
Demain nous sommes attendus dans le village de Bilin, au nord-ouest de Jérusalem, pour participer à la manifestation hebdomadaire contre le mur. Nous nous préparons psychologiquement à affronter les rafales des grenades lacrymo, et à découvrir le soldat israélien dans toute sa splendeur.

LE 14 AOUT - BILIN, UN VILLAGE PRIVE DE SOMMEIL

Comme chaque vendredi, le comité populaire de Bilin organise une manifestation contre le mur dans ce petit village au nord-ouest de Ramallah où 60% des terres ont été confisquées aux Palestiniens. Nous sommes accueillis dans la famille de l'un des organisateurs. Nous préparons quelques pancartes ("French people against the wall") et rejoignons le cortège composé de nombreux israéliens anticolonialistes et d'internationaux, munis de compresses d'alcool et de collyre pour diminuer l'impact des gaz lacrymo. Ces derniers jours, la tension est montée d'un cran dans le village après une arrestation nocturne par l'armée israélienne. Le 17 avril dernier, le villageois Basem Abu Rahma, 25 ans, a été tué lors d'une manifestation similaire. Cinq personnes ont été tuées en un peu plus d'un an dans les manifestations de Bilin et Nilin (dont un graçon de 10 ans), pourtant pacifiques. Le cortège quitte le village en direction du mur, matérialisé ici par de hautes barrières de barbelés. Symboliquement, certains tentent d'arracher une première rangée de barbelés mais sont vite repoussés par les rafales de lacrymo lancées par les soldats. Aujourd'hui ne fait pas exception, les grenades sont tirées vers le ciel. Le vent ramène les gaz en direction des soldats israéliens, d'autres tirées vers l'arrière du cortège atteignent les manifestants. Vient le tour du camion au jet d'eau. Depuis quelques temps, l'armée teste une nouvelle arme : un puissant jet d'eau verte puante composée de produits chimiques et on ne sait trop quoi d'autre (on préfère ne pas savoir) est projeté en direction des manifestants. Heureusement, la puissance du jet n'est pas trop forte aujourd'hui (problème technique) et il est assez facile de reculer pour ne pas être atteint. Le sol est jonché de grenades lacrymo vides. Sur le côté, un villageois s'amuse à les rebalancer en direction des soldats à l'aide d'un lance-pierre. Retour à l'envoyeur. Rien de bien méchant, celles ci n'atteignant d'ailleurs pas souvent leur but. L'ordre de dispersion est donné assez rapidement, après une heure et demie environ. Nous retournons vers le village. Dans les champs d'oliviers sur le côté, des gamins lancent quelques pierres en direction des barbelés, en marge de la manif et hors de portée des soldats. Elles atterrissent pour la plupart dans les champs. Pourtant, l'armée ne se prive pas de gazer les enfants en balançant de nombreuses lacrymo alors que la manif est officiellement terminée et que le gros du troupeau s'est retiré. De l'avis des Palestiniens, cette manif a été plus "soft" que les autres, peut-être en raison du nombre important de militants internationaux et israéliens.

C'est plus tard dans la soirée que se produit l'épisode le plus révélateur, et le plus angoissant. Le fils de notre hôte, qui doit avoir environ 7 ou 8 ans, emmène quelques-uns d'entre nous faire le tour de son village. La promenade nous mène dans les champs d'oliviers, et nous empruntons une route qui descend lentement en direction du mur barbelé. Nous en sommes encore loin et n'avons pas l'intention de nous y rendre. Quoi qu'il en soit, nous sommes sur les terres des Palestiniens. Un autre enfant nous rejoint. Lui et son copain nous explique que l'armée guette et que des soldats ont commencé à bouger au loin sur la ligne de crête de la colline d'en face. Colline où allaient avant jouer les enfants, désormais confisquée. Dans le crépuscule, ils repèrent très vite une jeep qui descend du haut de la colline et que nous n'avions même pas vue. "Bientôt ils vont tirer une grenade", nous préviennent les gamins. Nous pensons qu'ils en rajoutent pour le "touriste", ou qu'ils psychotent. Mais alors que nous entamons tranquillement notre retour en remontant sur un autre chemin qui ramène au village, nous entendons un tir. Une grenade lacrymo a été lancée dans notre direction. C'est tout simplement incroyable. Non contente de leur confisquer leurs terres, l'armée israélienne empêche les habitants de faire une promenade nocturne dans les champs qu'il leur reste. Les enfants se mettent à courir vers le village. La suite, ils la connaissent : trois soldats avancent en général masqués dans les oliviers et viennent les attraper. Au bout de trois fois, ils sont susceptibles d'être emmenés en prison. Nous regagnons le domicile de notre hôte, totalement abasourdis. La mère nous attend sur le pas de la porte, morte d'inquiétude car elle a entendu le tir de la grenade.

Pourtant, la journée des habitants de Bilin ne fait que commencer. Quand la nuit tombe, les villageois s'organisent pour mettre en place des groupes de surveillance. Toute la nuit, ils guettent les possibles incursions des soldats israéliens. Après avoir assisté à une réunion avec les membres du Comité populaire des villages de Bilin et Nilin, nous repartons chez notre hôte pour tenter de grapiller deux petites heures de sommeil. A 2h du matin, on vient nous réveiller. Notre groupe de neuf est divisé en trois petits groupes, encadrés par des villageois et quelques internationaux habitués des lieux. Vers 3h du matin, chacun prend ses positions. C'est en général à cette heure que les soldats peuvent débarquer. Notre hôte, comme plusieurs autres villageois activistes, est "wanted". Avec mon groupe, nous "patrouillons" dans les rues du village, oreilles et yeux grand ouverts. Vers 5h30 du matin, peu après que le chant du muezzin ait retenti dans les collines, nous rejoignons le QG. Nos compagnons recherchés ne seront pas arrêtés cette nuit.
Nous sommes bien fatigués et regagnons nos matelas. Pendant ce temps, nos hôtes n'ont pas fermé l'œil de la nuit. La femme, stressée, attend à la maison, incapable de dormir. Seulement au petit matin, épuisés, ils s'écroulent pour un court moment de sommeil. Pour nous, c'est une nuit de folie. Pour eux, elles sont toutes comme ça. Comment l'humain peut-il endurer un tel harcèlement ? Nous comprenons une fois de plus la tactique israélienne : ne pas laisser le moindre répit aux Palestiniens, les traquer jour et nuit pour les faire craquer. Mais ils tiennent bon, par on ne sait quel miracle. Nous apprenons qu'un jeune villageois est arrêté le soir suivant notre départ (de retour en France, nous recevons des mails chaque semaine pour nous informer de nouvelles arrestations).

LE 15 AOUT - DES SOLDATS DANS LES VIGNES

Une heure et demie après nous être rendormis suite à cette étrange nuit, il est temps de reprendre le bus pour rejoindre un groupe d'activistes israéliens au sud-ouest de Bethléem. Nous ne sommes plus que quatre, le reste du groupe étant trop épuisé pour enchaîner.
Au programme de la journée : accompagner des agriculteurs palestiniens dans leur vignoble qu'ils n'ont pas pu cultiver depuis trois ans en raison de la présence d'une colonie qui s'est implantée à quelques mètres de là, en amont. Bien que là encore la terre appartienne aux Palestiniens, leur présence déplait aux colons qui les menacent et les découragent de s'y rendre. En l'espace de trois ans, de nombreuses vignes se sont assséchées. Alors que nous pénétrons dans le champ, deux soldats et une jeep se rapprochent. Des colons qui passent sur la route au-dessus commencent à vociférer en direction des Palestiniens qui tentent de ramasser les quelques grappes de raisin survivantes. Le chef des colons se pointe avec sa kalachnikov et en quelques minutes distribue les ordres aux soldats qui débarquent en masse de tous les côtés. Nous refusons de déguerpir sous les ordres et attendons d'être largement bousculés pour faire marche arrière. La tension est très forte et j'interpelle plusieurs soldats en les questionnant sur ces injustices. Leurs réponses sont déroutantes de bêtises quand elles ne sont pas tout simplement méprisantes "Yeah come on baby take a photo of me". L'un d'eux finit à force de questionnements par admettre que "Eh bien oui c'est ridicule mais c'est comme ça"... Ou quand le soldat ne pense pas. Trois Israéliens anticolonialistes qui refusent de quitter les lieux en se couchant au sol sont arrêtés (ils sont habitués, ils font partie du groupe militant Ta'ayush), et seront relâchés quelques heures plus tard.
Une journée comme une autre en Cisjordanie...

LE 16 AOUT - LE DERACINEMENT DES BEDOUINS DU NEGUEV

C'est notre seule journée, hormis Jérusalem, passée sur des terres officiellement israéliennes. Nous prenons un bus rempli de jeunes soldats israéliens (en Israël, le service est obligatoire, 3 ans pour les hommes, 2 ans pour les femmes) en direction du Néguev, des terres désertiques situées au centre-sud du pays et à l'est de Gaza. Nous avons rendez-vous avec l'ONG "Step forward" à Rahat, une ville bédouine, non loin de Beer Sheva. Après l'exode forcé de 1948 ("Naqba"), une grande majorité des Bédouins s'est enfuie vers l'Egypte, la Jordanie ou Gaza.
Les Israéliens ont cherché à sédentariser les Bédouins restés sur place en les maintenant dans un des sept villages officiels du Néguev établis dans les années 70, et en abandonnant le reste de leurs terres. Malgré une reconnaissance officielle de leur existence par Israël, ces communautés reçoivent des aides très largement inférieures aux autres villes israéliennes. Ces Bédouins dont le mode de vie nomade a été anéanti sont aujourd'hui culturellement déracinés et en manque d'identité : ni Palestiniens, ni Israéliens... Le taux de chômage est très fort dans les communautés bédouines et l'accès au système éducatif est très limité.
L'association "Step forward", mise en place en 2000 par des étudiants d'origine bédouine, essaie de combler certains déficits notamment en matière d'éducation (cours d'anglais, d'informatique, de commerce...), et de développer des projets sociaux au sein de la population bédouine.

Les Bédouins du Néguev qui ont décidé de rester dans le désert où ils vivent depuis des décennies peuplent 45 villages "non reconnus" par Israël. Ceux-là font face aux mêmes menaces que les Bédouins du Jourdain : destructions de maisons, expulsions, déni d'accès à l'eau, à l'électricité, aux soins...C'est le triste sort des habitants d'Araqib que nous rencontrons en fin de journée. Ici, les récoltes ont même été empoisonnées par l'Etat d'Israël afin d'encourager les Bédouins à quitter les lieux. Le village a été détruit huit fois par les Israéliens, mais c'est peu en comparaison d'un village voisin détruit 28 fois !

LE 17 AOUT - SHEIKH JARRAH SOUS HAUTE TENSION

Ce soir, nous sommes retournés dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jerusalem est. Dans la journée, nous avons été informés qu'un rassemblement sioniste s'y déroulerait et qu'une contre manifestation aurait lieu. Nous avons rejoint cette dernière vers 18h. La scène se déroule devant un hôtel à l'abandon racheté il y a plusieurs années par un Américain. Ce dernier a récemment obtenu l'autorisation de le détruire et d'y construire à la place une colonie. Nous sommes en plein quartier palestinien, non loin des consulats et juste au-dessus des maisons d'où ont été récemment expulsées des familles palestiniennes. Les Israéliens anticolonialistes, notamment ceux du mouvement "Peace now", organisateur de la manifestation, sont coincés entre des barrières métalliques et des barbelés, à droite de la sortie de l'hôtel. En face, côté gauche, les sionistes israéliens sont aussi regroupés et arborent fièrement le drapeau israélien et des pancartes avec le portrait d'Obama coiffé d'un keffier avec la mention "antisémite". Nous apprenons qu'à l'intérieur des grilles de l'hôtel, une sorte de "garden party" a lieu avec politiciens israéliens et américains.
Le tout reste assez bon enfant, les pacifistes respectant très sagement les consignes de la police. Certains Israéliens trouvent le mouvement trop gentillet à leur goût, mais participent toutefois à ce rassemblement. Après que chacune des parties se soit dispersée dans le calme, nous partons rejoindre les familles expulsées de Sheikh Jarrah qui dorment toujours dans la rue face à leurs maisons spoliées. En chemin, nous discutons avec deux Israéliens anarchistes. Pour eux, les enjeux du conflit ne sont pas idéologiques ou religieux, mais économiques, de très grosses sociétés tirant directement profit de la situation actuelle : les entreprises israéliennes qui imposent leurs produits aux Gazaoui, les entreprises de travaux public qui construisent les routes et infrastructures des colonies... (sur ce sujet, voir à qui profite le crime)

En approchant du carrefour où se trouvent les familles expulsées, nous assistons à un drôle de face à face nocturne. Au milieu de la route, sur une sorte de rond-point, des internationaux, dont une majorité de Français semble-t-il, sont regroupés. Face à eux, de l'autre côté de la route, se tiennent quelques colons du quartier. La foule grossit du côté des internationaux, auxquels nous nous joignons. Les familles palestiennes expulsées restent à leur emplacement habituel, sur le trottoir, derrière les internationaux, et ne participent pas à cet étrange échange verbal. Tout comme la plupart des Palestiniens présents. Pour eux, la situation est plus délicate car ils craignent que le moindre faux pas compromette leur démarche entamée auprès de la cour de justice israélienne pour faire valoir leur droit. Récemment, un premier recours a échoué. Un autre est en cours, mais on a du mal à y croire.
La tension monte d'un cran quand la police et l'armée débarquent, après environ une demi-heure. Ca nous parait d'ailleurs surprenant qu'ils ne soient pas venus plus tôt. La suite est un peu confuse. Nous assistons à ce qui nous semble être une parodie d'arrestation d'un jeune colon, pour la forme. Certains dans notre groupe l'ont vu plaisanter avec un policier qui l'arrête. Entre temps, les internationaux ont reculé sous les ordres de la police, se confondant avec les Palestiniens qui se tenaient derrière en retrait. Quelques minutes plus tard, un policier se rue au milieu de la foule et c'est la grande bousculade. Difficile de savoir exactement ce qui s'est passé, plusieurs d'entre nous, pris dans la bousculade, n'ayant vu que des bribes de la scène. Selon certains témoins, le policier aurait voulu s'en prendre à une jeune femme palestinienne qui l'aurait interpellé et en aurait été empêché par plusieurs personnes. Quoi qu'il en soit, il semble clair que le policier a fait une violente incursion dans la foule des Internationaux et des Palestiniens, s'en prenant particulièrement à l'un de ces derniers. Le policier veut l'arrêter mais la foule grossit autour d'eux pour l'en empêcher. Avec le renfort de soldats, il finissent par l'embarquer dans une voiture. Nous formons une chaîne devant la voiture pour les retenir mais le véhicule finit par se frayer un chemin dans la foule. Nous décidons de quitter les lieux pour éviter la surrenchère.

Notre sentiment est partagé. D'un côté nous avons le sentiment de soutenir les familles palestiniennes dans leur combat contre des expulsions arbitraires. De l'autre, nous craignons aussi que ce genre d'épisode leur crée d'autre problèmes une fois les internationaux partis. Nous posons la question à des membres de ces familles. Des femmes semblent craindre un peu ce genre d'évènement. Une des filles d'une famille n'y voit pas de problèmes. Les hommes en revanche semblent moins impressionnés.


LE 18 AOUT - RAMALLAH, BERCEAU DE LA CAMPAGNE DE BOYCOTT

Dans la ville du siège de l'autorité palestienne, nous rencontrons des membres de l'organisation PNGO, the "Palestinian non-governmental organization's network", d'où est partie la campagne de boycott contre Israël, dite BDS : Boycott, désinvestissement, sanctions. Omar Barghouti, un des membres de l'organisation à l'origine de cette campagne, nous parle de cette initiative, de ses débuts un peu difficiles à son succès grandissant à travers le monde aujourd'hui. Pour plus d'informations, voir le site français qui relaie cette initiative.

De retour de Ramallah, trois d’entre nous retournent voir les familles de Sheikh Jarrah. Nous venons aux nouvelles après la soirée agitée d’hier. Nous retrouvons Nadia, expulsée de sa maison, toujours dehors. Nous apprenons que le jeune Maher (21 ans) qui a été arrêté hier a été relâché aujourd’hui, sans avoir été questionné. Il risque une amende de 3000 sheckels (env. 600 euros) ou plus s’il est repris dans une manifestation. Après explication, on nous confirme que Maher s’est interposé pour empêcher le policier de s’en prendre à une jeune femme de la famille qui l’avait interpellé.
Je repose ma question à deux jeunes filles quant au bien fondé de l’action des internationaux. Leurs réponses me rassurent : " Que vous soyez là ou non, les Israéliens usent de violence avec nous. Votre présence nous encourage et nous espérons que vous raconterez chez vous ce qui se passe ici". L’une d’elle, qui parle couramment l’anglais, m’assure que les Palestiniens n’hésiteraient pas à nous prévenir si involontairement l’une de nos actions pouver leur causer plus de tort que de bien.
La mission se termine ce soir pour nous, avec un pincement au coeur. L’accueil et la chaleur des Palestiniens vont nous manquer. Reste maintenant à chacun de nous à "digérer" ce voyage, et à savoir en tirer le maximum. Il est un peu tôt pour en parler davantage à chaud.

LE 19 AOUT - DANS LA VIEILLE VILLE DE JERUSALEM : L'ENVERS DU DECOR

La mission est officiellement terminée mais nous sommes encore quelques-uns restés à Jérusalem en attendant notre avion de retour. En errant dans les rues de la vieille ville, dont nous sommes tous tombés sous le charme, nous découvrons d'un peu plus près l'autre visage de Jérusalem. Je laisse la parole à Magali, qui a fait le récit de cette dernière journée sur son blog "Rexistance".

LE 20 AOUT - FOUILLE INTENSE A L'AEROPORT ET GAFFE A BORD

Comme prévu, la fouille au retour a été à la hauteur de sa réputation. Du moins pour moi, puisqu'une fois de plus mon nom ne m'a pas épargnée semble-t-il. Alors que Fred et Audrey ont eu droit au niveau de sécurité "2", j'ai hérité du degré "6", c'est-à-dire le plus haut niveau de suspicion, et donc les fouilles les plus intenses, dont passage dans une cabine à l'écart. Nous étions prévenus et avions envoyé tous nos keffiers, documents, écrits etc. par la poste. J'avais pris soin de faire envoyer mes colis par Magali (on demande le passeport de l'expéditeur) - afin que mon nom ne donne pas envie aux douaniers d'ouvrir le paquet - et en indiquant un destinataire au nom lui aussi bien français. Quant aux sacs, ils ont été vidés de fond en comble. La fouille a bien duré une heure et demi, avec quelques questions au passage sur mon voyage. Le mot d'ordre : rester le plus évasive possible. J'ai presque été escortée jusqu'à la salle d'embarquement, privilège des "n°6". Le coup d'œil aux grands panneaux de propagande gouvernementale accrochés aux murs de l'aéroport vaut le détour : "Shall we bring peace and tranquillity to this land" ou "Land of democracy and social equality"..., parmi tant d'autres du même acabit.
L'erreur, je l'ai commise plus tard, dans l'avion. Un jeune Israélien a entamé la conversation avec une française que j'avais rencontrée à l'aéroport. Ils étaient tous les deux assis à côté de moi (premier indice). Au début, je me suis méfiée, ne parlant de mon voyage à aucun d'entre eux. Puis vers 2h du matin, j'ai entendu l'Israélien tenir un discours très anticolonialiste, contre son gouvernement d'extrême-droite. Je me suis alors dit que j'avais été assez parano comme ça, que c'était intéressant de rencontrer des Israéliens. J'ai relaché la garde. Je lui ai dit que les Israéliens tenant son discours étaient rares. Et au bout de quelques secondes, il m'a demandé : "Et toi, où es-tu allée en Israël?". Et là, erreur de débutante, j'ai dit que je m'étais rendue en Cisjordanie. Je me suis très vite rendue compte de ma bévue et j'ai essayé de rattraper le coup, mais c'était trop tard. On nous avait pourtant prévenu : les services secrets israéliens (mossad) poste des agents dans les avions à destination ou en provenance d'Israël. On nous avait répété de ne jamais rien dire sur notre voyage. Vu le comportement étrange de l'Israélien après coup, il est assez probable que j'ai eu à faire à l'un d'entre eux. Je ne le saurai qu'à une prochaine tentative de passage...

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