Leïla Shahshahani

journaliste indépendante

REPORTAGES 

 
MAUVAIS PLAN A L'AIGUILLE DU MIDI : UN ETE SANS BENNE A CHAMONIX

Article paru dans Montagnes Magazine (n°286, octobre 2004)

Le téléphérique de l'Aiguille du Midi n'a tourné dans son intégralité que trois semaines entre mai et août, victime d'une coïncidence malvenue : deux opérations de maintenance qui tournent mal et occasionnent d'importants dégâts matériels. Comment Chamonix a-t-elle vécu la panne d'une des bennes les plus célèbres du monde en pleine période estivale ?

TOUR D'HORIZON

Le 10 mai, quand le câble tracteur « échappe » au personnel et tombe le long de la ligne du téléphérique, on évite le pire : aucune victime, ni chez les employés ni dans la vallée où le câble a coupé la route « blanche », principal accès à Chamonix. Dans l'urgence, la Compagnie du Mont Blanc (CMB), qui possède le téléphérique et l'ensemble des remontées mécaniques de la vallée, choisit l'entente à l'amiable. La société suisse Garaventa, responsable de l'opération de maintenance, prend à sa charge les réparations. Le 11 juillet, le téléphérique reprend son service et l'industrie du tourisme se rassure. Le 3 août, le téléphérique est à nouveau HS, pour tout le mois d'août : la veille, une opération de maintenance qui consiste à déplacer la benne sur le câble a mal tourné et une cabine est entrée de plein fouet dans la gare du Plan de l'Aiguille ; par manque de vigilance d'un employé, selon la CMB.

La fermeture tombe mal pour la CMB, qui réalise en août ses plus gros chiffres, soit 20% de sa fréquentation annuelle (100000 personnes dans le mois). La direction estime ses pertes d'exploitation à trois millions d'euros. La société est assurée pour les dégâts matériel et la perte d'exploitation, mais « on y laisse forcément des plumes », annonce François Bidaut, Président du Directoire. La compagnie se félicite de n'avoir licencié aucun de ses 100 employés, relocalisés sur les autres remontées. Côté sécurité, la direction est catégorique : « Cette situation ne peut en aucun cas se poser en exploitation normale (ndlr : mode automatique) où toutes les sécurités sont actives » ; contrairement aux opérations de maintenance qui se font en mode manuel et demandent une extrême vigilance.

Au refuge des Cosmiques, qui accueille le flux des alpinistes débarqués à l'Aiguille du Midi, on a limité les dégâts: « Les nuitées se sont à peu près maintenues en juillet et si le mois d'août n'a pas été terrible, c'est davantage à cause des mauvaises conditions météo que de la panne du téléphérique », résume le gardien Arnaud Sage. Le refuge du Goûter, égal à lui-même, a affiché complet tout l'été. Quant au refuge des Grands Mulets, qui aurait pu servir d'alternative pour se rendre au sommet du mont Blanc, il a fermé le 24 juillet à cause des conditions dangereuses sur cet itinéraire.
Au Plan de l'Aiguille, à 2310 m d'altitude, la gare intermédiaire du téléphérique est désertée. Seuls y parviennent ceux qui marchent, des touristes et quelques alpinistes effectuant la traversée depuis l'arrivée du train du Montenvers, moyennant deux bonnes heures et un dénivelé de 400 mètres (la montée directe depuis Chamonix, avec 1300 m de dénivelé, est peu empruntée). « On a vu jusqu'à 700 personnes en un jour gagner à pied la gare pour emprunter le 2ème tronçon et rejoindre l'Aiguille du Midi » raconte une employée de la gare intermédiaire, impressionnée par la motivation des touristes. En fin de journée, deux employés de la CMB « ferment » le sentier pour s'assurer que les touristes ont rejoint le train pour la dernière descente vers la vallée. On reste loin cependant du taux de remplissage habituel du téléphérique, avec 400 personnes par jour en moyenne contre 4000 pour un mois d'août normal ! La buvette que tient Jean-Christophe Devouassoux devant la gare est l'une des grandes perdantes de cette panne : elle n'est assurée que pour un sinistre matériel, pas pour une perte d'exploitation. Quant aux courses au départ de la gare ont été délaissées. « C'était l'année pour faire l'arête des Papillons », déclare Jean-Christophe.
Reste l'alternative italienne : emprunter le téléphérique reliant Courmayeur à la pointe Helbronner, puis le télécabine de la Vallée Blanche établissant la jonction avec l'Aiguille du Midi ; une option choisie par de nombreux guides. Et par des groupes de touristes, dont le contrat passé avec leur agence stipulait une montée au sommet de l'Aiguille du Midi. « Sur les rares jours de beau temps que nous avons eu, nous avons enregistré une hausse de 20% sur notre fréquentation habituelle », estime Stepfano Fettolini, responsable des remontées d'Helbronner. Mais le coût supplémentaire du tunnel et le temps de transport nécessaire ont découragé la plupart des touristes séjournant à Chamonix.

MOT D'ORDRE : ON S'ADAPTE

Pour les guides, la fermeture du téléphérique n'est qu'un aléa de plus et la montagne reste accessible autrement ; les voies d'escalade dans les Aiguilles Rouges ont remporté un vif succès. Une fermeture hivernale du téléphérique serait beaucoup plus préjudiciable puisqu'elle les priverait de leur manne essentielle : la Vallée Blanche. Et les touristes ? « La fermeture de l'Aiguille du Midi aura été une excellente occasion pour faire découvrir les autres remontées de Chamonix, comme le Brévent », explique Bernard Prud'homme, directeur de l'office du tourisme. Selon lui, il n'y a eu pratiquement aucune annulation de groupes ni de clientèle en général pour les séjours.

Chamonix sans l'Aiguille du Midi n'est pas devenue la Bérarde du Mont Blanc. Les mules n'ont pas fait de réapparition et les alpinistes n'ont pas fait le mont Blanc à l'ancienne depuis le bas. Du touriste au guide, on s'est adaptés, plutôt bien que mal. Reste quelques grands perdants, comme le magasin Twinner Sports Alpins, en face de la gare de départ du téléphérique ; à l'annonce de la deuxième panne, il a mis son stock de la saison en liquidation totale : « Nous enregistrons une perte de 30 à 40% de notre chiffre d'affaire habituel pour la saison ». D'une manière générale, les professionnels du tourisme interrogés à Chamonix constatent une baisse significative de fréquentation ; qui n'est pas due à la fermeture du téléphérique mais à un contexte économique peu favorable. En attendant, les professionnels misent sur la réouverture de la benne au 1er septembre et une météo favorable. Du 24 octobre à la mi-décembre, le téléphérique sera fermé pour le changement des câbles porteurs du premier tronçon. Un petit lifting avant les célébrations, l'an prochain, du cinquantième anniversaire du téléphérique de l'Aiguille du Midi…

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